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Fresques de Casenoves – Musée d’Art et d’Histoire de la Ville de Genève et la France

Le 1er juillet 1997, le Musée d’art et d’histoire de la Ville de Genève et l'Etat français, representé par son Ministère de la culture, ont signé un accord portant sur le prêt de deux fragments des fresques de Casenoves (Christ en Majesté et Adoration des Mages). Le 19 mars 2003, le Conseil administratif de la Ville de Genève a décidé de transformer ce prêt en donation.

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Citation : Raphael Contel, Anne Laure Bandle, Marc-André Renold, « Affaire Fresques de Casenoves – Musée d’Art et d’Histoire de la Ville de Genève et la France », Plateforme ArThemis (http://unige.ch/art-adr), Centre du droit de l’art, Université de Genève.

 

 

Le 1er juillet 1997, le Musée d’art et d’histoire de la Ville de Genève et l’Etat français, représenté par son Ministère de la culture, ont signé un accord portant sur le prêt de deux fragments des fresques de Casenoves (Christ en Majesté et Adoration des Mages). Le 19 mars 2003, le Conseil administratif de la Ville de Genève a décidé de transformer ce prêt en donation.

I. Historique de l’affaire

Demandes de restitution pre 1970

  • Les fresques de Casenoves sont (re)découvertes en 1953 par le Professeur Marcel Durliat, Conservateur du mobilier historique des Pyrénées-Orientales et spécialiste de l'art médiéval du Sud de la France et de l’Espagne.[1] Les fresques de Casenoves sont considérées par le Professeur Durliat comme le plus ancien ensemble de peinture murale du Roussillon.[2] Elles revêtent donc un caractère exceptionnel. Le maire d’Ille-sur-Têt lui demande de surseoir au classement.
  • Le 22 mars 1954, Marcel Simon achète les fresques aux propriétaires de l’église pour la somme de 300.000.- anciens francs français. Il procède au démembrement.
  • Le 27 mai 1955, le Tribunal de Prades condamne Marcel Simon à la restitution des fresques au motif qu’il n’a pas obtenu l’accord de tous les propriétaires indivis.
  • En 1955, la partie des fresques la plus dépareillée est vendue à M. Werner Abegg via une antiquaire parisien ayant pignon sur rue.
  • Le 9 mai 1954, la Cour d’appel de Montpellier confirme le jugement de première instance.
  • En 1957, suite à une plainte du Service des monuments historiques, Marcel Simon est condamné par le Tribunal correctionnel d’Avignon à 72.000.- anciens francs français d’amende et à 500.000.- anciens francs français de dommages et intérêts. Cette peine sera réduite par la Cour d’appel de Nîmes. Marcel Simon ne procèdera jamais à la restitution des fresques.
  • En 1963 M. Werner Abegg lègue la partie des fresques qu’il a acquise à la fondation privée de son nom, Fondation Abegg.
  • En 1978, un article de Janine Wettstein paru dans Geneva annonce que le Christ en Majesté et l’Adoration des Mages (la partie des fresques la plus importante) se trouvent au Musée d’art et d’histoire de la Ville de Genève (MAH). Le MAH aurait acheté celles-ci auprès d’un antiquaire zurichois en 1976. Le MAH en aurait informé le Ministère des affaires culturelles français sur son intention d’achat en demandant expressément si celles-ci n’étaient pas classées ou d’intérêt pour les autorités françaises.
  • Les deux propriétaires indivis n’ayant pas donné leur accord à la vente initiale des fresques forment une demande en revendication de ces dernières à l’encontre de la Fondation Abegg et de la Ville de Genève devant le Tribunal de grande instance de Perpignan. La Ville de Genève et le Fondation Abegg soulèvent l’incompétence du Tribunal de grande instance de Perpignan au profit des juridictions helvétiques. En 1984, le Tribunal de grande instance de Perpignan juge que les fresques ayant conservé le caractère d’immeuble par nature, l’action engagée était une action en revendication d’immeuble et il rejette l’exception d’incompétence.
  • Le 18 décembre 1984, la Cour d’appel de Montpellier considère que les fresques arrachées à l’église sont des immeubles par destination. Dès lors, les juridictions françaises sont compétentes. La Cour d’appel condamne le MAH et la Fondation Abegg à la restitution.[3]
  • Le 15 avril 1988, la Cour de Cassation décide que les fresques sont des biens meubles. Dès lors, par application d’une Convention franco-suisse alors en vigueur, elle se déclare incompétente et juge la demande irrecevable.[4]
  • Le 1er juillet 1997, un accord est conclu entre le MAH et l’Etat français qui prévoit que les fresques sont prêtées à l’Etat français pour une durée de six mois en six mois.
  • Le 19 mars 2003, le prêt est transformé en don par décision unilatérale du Conseil administratif de la Ville de Genève.

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II. Processus de résolution

 

Action en justice – Décision judiciaireNégociationAccord transactionnel

  • Cette affaire illustre parfaitement l’échec de la voie judiciaire. La première décision rendue en lien avec cette affaire date de 1954. La décision qui termine le périple judiciaire est rendue par la Cour de Cassation en 1988. Il aurait été possible d’introduire, probablement vainement, une action en Suisse. Les décisions rendues sont les suivantes :
    • Jugement du Tribunal de Prades du 27 mai 1955 (condamnation en restitution de Marcel Simon).
    • Arrêt de la Cour d’appel de Montpellier du 9 mai 1957 (confirmation de la condamnation en restitution).
    • Jugement du Tribunal correctionnel d’Avignon en 1957 (amendes et dommages et intérêts à l’encontre de Marcel Simon).
    • Arrêt de la Cour d’appel de Nîmes en 1957 (diminution de la peine).
    • Jugement du Tribunal de grande instance de Perpignan (condamnation en restitution du MAH, compétence des tribunaux français).
    • Arrêt de la Cour d’appel de Montpellier du 18 décembre 1984 (condamnation en restitution du MAH, compétence des tribunaux français).
    • Arrêt de la Cour de Cassation du 15 avril 1988 qui déclare les tribunaux français incompétents.
  • L’accord transactionnel aboutit pratiquement dix ans ensuite de la décision de la Cour de Cassation. Il n’existe pas d’information à notre connaissance sur les relations entre les parties pendant cette période de temps. C’est donc seulement par le biais d’un accord de prêt puis d’une décision de restitution définitive par la Ville de Genève que le litige est finalement résolu.

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III. Problèmes en droit

Conflit de juridiction PropriétéInaliénabilité

  • La qualification des fresques en bien meuble ou immeuble conditionne la compétence des tribunaux français. En effet, au contraire des cours inférieures, la Cour de Cassation a considéré que les fresques étaient des biens meubles. Par suite, en application d’une Convention franco-suisse alors en vigueur, la Cour de Cassation s’est déclarée incompétente. Droz critique cette position prise par la Cour[5] : il affirme que la Cour aurait pu accepter la compétence des tribunaux français en considérant le détachement des fresques comme inopposable aux demandeurs (les propriétaires de l’église).[6] Droz fait référence à quelques cas en matière de succession dans lesquels la Cour a considéré que « ce qui est meuble doit suivre le sort d’un immeuble pour être soumis au tribunal français de la situation dudit immeuble ».[7] D’après Droz, la Cour aurait pu suivre ce même raisonnement en l’espèce.
  • Les demandeurs n’intentent pas d’action en Suisse. Le droit suisse étant selon toute vraisemblance applicable à l’exercice et au contenu des droits réels mobiliers (lex situs),[8] le MAH aurait eu toutes les chances d’être considéré comme propriétaire (acquisition prescriptive : délai de 5 ans, bonne foi et possession sans trouble).[9]
  • La décision du Conseil Administratif de la Ville de Genève du 19 mars 2003, qui transforme le prêt en don, fait sortir les fresques du patrimoine de la Ville de Genève (aliénation). Se pose alors la question classique en droit du patrimoine culturel de l’inaliénabilité des biens culturels propriété de droit public. Il n’existe pas en droit genevois un principe général d’inaliénabilité absolu des biens culturels. La législation genevoise prévoit parfois expressément l’imprescriptibilité de certains biens culturels comme les archives.[10] Dès lors, à défaut de base légale expresse, la sortie du patrimoine public doit se faire selon le principe du parallélisme des formes. L’autorité compétente pour prendre la décision d’acquisition des fresques est aussi compétente pour en décider la vente ou la donation. En bonne logique, une autorité hiérarchique supérieure l’est aussi. En l’espèce, le Conseil administratif de la Ville de Genève est donc très certainement compétent. A noter que cette décision aurait probablement pu faire l’objet d’un recours.

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IV. Résolution du litige

Prêt – Donation (le prêt est transformé en donation)

  • La décision de prêt des fresques peut être perçue comme exemplaire. En effet, les critères retenus pour cet accord se fondent sur un raisonnement qui dépasse la résolution en droit. Ainsi, plutôt que d’opposer à la revendication une propriété légitime en droit et ses prérogatives, le MAH et la Ville de Genève préfère mettre en avant « l’intérêt et l’importance que revêt le patrimoine pour une communauté [ainsi] que se mise en valeur dans les lieux de leur création (…) ».[11]
  • Quelques années plus tard ce prêt est transformé en don par la Ville de Genève.[12]

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V. Commentaire

 

  • Il ne suffit pas d’obtenir un jugement de restitution encore faut-il pouvoir le faire exécuter (même sur le territoire du jugement). Ce qui sera bien difficile si l’illégitime propriétaire a d’ores et déjà vendu le bien culturel à un acquéreur étranger. Qui plus est, le bénéfice de la vente du bien culturel permet probablement de compenser d’une part, les frais de justice et, d’autre part, les amendes et autres dommages et intérêts.
  • On peut s’étonner des réponses peut-être inadéquates des autorités françaises (en particulier au MAH) produisant un décalage entre légitimité à la restitution du point de vue des valeurs culturelles et efficacité des mesures de contrôle et/ou d’informations.
  • Il faut tout de même relever que la donation a un coût pour le contribuable. En effet, il n’y a pas eu de compensation matérielle pour celle-ci. Si le MAH a été de bonne foi, cet achat est à inscrire au passif de Musée sans faute de sa part.
  • A notre connaissance, les parties de fresques détenues par la Fondation Abegg n’ont donné lieu à aucune transaction.

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VI. Sources

a) Doctrine

  • Durliat Marcel, Arts anciens du Roussillon, Peintures, Edition originale, toilée, tirée à 1500 exemplaires numérotés, 1954.
  • Droz Georges, Cour de Cassation (Ass. Plén.) – 15 avril 1988, in Revue critique de droit international privé, 1989, p. 100 ss.

b) Législation

  • Convention du 15 juin 1869 entre la Suisse et la France sur la compétence judiciaire et l’exécution des jugements en matière civile (RS 12 315)

c) Décisions judicaires

  • Tribunal de Prades, 27 mai 1955.
  • Cour d’appel de Montpellier, 9 mai 1957.
  • Tribunal correctionnel d’Avignon, 1957.
  • Cour d’appel de Nîmes, 1957.
  • Tribunal de grande instance de Perpignan, jugement Fondation Abegg et Ville de Genève contre Mmes Y. et Z., 1984.
  • Cour d’appel de Montpellier, arrêt Fondation Abegg et Ville de Genève contre Mmes Y. et Z., 18 décembre 1984.
  • Cour de Cassation, arrêt Fondation Abegg et Ville de Genève contre Mmes Y. et Z., 15 avril 1988.

d) Documents

  • Accord entre le Musée d’Art et d’Histoire de la Ville de Genève et L’Etat français portant sur le prêt de deux fragments des fresques de Casenoves (Christ en Majesté et Adoration des Mages), 1er juillet 1997.
  • Extrait certifié conforme, Séance du Conseil administratif de la Ville de Genève, 19 mars 2003.

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[1] Les informations qui précèdent les décisions judiciaires françaises relatives à leur compétence sont tirées d’un site Internet consacré à cette affaire : http://www.ille-sur-tet.com/la_ville/fresques.htm (consulté le 6 septembre 2011).

[2] Voir l’ouvrage qu’il a consacré aux Arts anciens du Roussillon : Durliat Marcel, Arts anciens du Roussillon, Peintures, édition originale, toilée, tirée à 1500 exemplaires numérotés, 1954.

[3] Cour d’appel de Montpellier, arrêt Fondation Abegg et Ville de Genève contre Mmes Y. et Z., 18 décembre 1984.

[4] Il s’agit de la Convention franco-suisse du 15 juin 1869 qui, dans son 1er article, attribue compétence en matière mobilière au tribunal du du domicile du défendeur. Cour de Cassation, arrêt Fondation Abegg et Ville de Genève contre Mmes Y. et Z., 15 avril 1988.

[5] Droz Georges, Cour de Cassation (Ass. Plén.) – 15 avril 1988, in Revue critique de droit international privé, 1989, p. 103.

[6] Ibid., p. 104.

[7] Ibid., p. 104 ss.

[8] Article 100 al. 2 de la loi fédérale suisse du 18 décembre 1987 de droit international privé, LDIP ; RS 291.

[9] Art. 728 du Code civil suisse du 10 décembre 1907, CC ; RS 210. Au moment des faits, la prescription était de 5 ans. Ce délai a été prolongé à 30 ans avec l’entrée en vigueur de la loi fédérale suisse du 20 juin 2003 sur le transfert international de biens culturels, LTBC ; RS 444.1, voir l’art. 728 al. 1ter CC.

[10] Voir l’art. 2 al. 3 de la loi genevoise du 1er décembre 2000 sur les archives publiques, LArch ; B 2 15.

[11] Discours de Vaissade Alain, Conseiller administratif chargé des affaires culturelles de la Ville de Genève, pour l’inauguration de l’exposition des Fresques de Casenoves à l’Ille-sur-Têt, 21 septembre 1997.

[12] Extrait certifié conforme, Séance du Conseil administratif de la Ville de Genève, 19 mars 2003.

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