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Trois tableaux spoliés – Héritiers Oppenheimer, van Doorn, Soepkez et France

Le 11 mars 2014, Aurélie Filippetti, Ministre de la Culture et de la Communication du gouvernement français, a officiellement restitué aux ayants-droit des trois familles qui avaient été spoliées par les Nazis (Oppenheimer, van Doorn et Soepkez) trois tableaux qui avaient été classés « Musées Nationaux Récupération ».

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Citation: Laetitia Nicolazzi, Alessandro Chechi, Marc-André Renold, « Affaire Trois tableaux spoliés – Héritiers Oppenheimer, van Doorn, Soepkez et France », Plateforme ArThemis (http://unige.ch/art-adr), Centre du droit de l’art, Université de Genève.

 

 

Le 11 mars 2014, Aurélie Filippetti, Ministre de la Culture et de la Communication du gouvernement français, a officiellement restitué aux ayants-droit des trois familles qui avaient été spoliées par les Nazis (Oppenheimer, van Doorn et Soepkez) trois tableaux qui avaient été classés « Musées Nationaux Récupération ».

I. Historique de l’affaire

 

Spoliations nazies

  • Avant 1933,[1] le tableau Portrait de femme (anonyme français, XVIIIe siècle) appartient à la Galerie berlinoise Van Diemen, dont Jakob et Rosa Oppenheimer sont les propriétaires.
  • En 1933, le couple Oppenheimer part s’installer en France afin de fuir les Nazis et doivent abandonner leur collection d’art à Berlin.
  • Le 25 janvier 1935, leurs biens, qui avaient été confisqués par les Nazis, font l’objet d’une vente aux enchères forcée.[2] La vente publique prend place dans la maison Paul Graupe ; le Portrait de femme est vendu sous le n° 60.[3]
  • En 1941, Jakob Oppenheimer meurt en France. Rosa Oppenheimer, qui a été déportée à Auschwitz, y décède en 1943.[4]
  • En 1950, la toile est attribuée au Louvre par l’Office des Biens et Intérêts Privés.[5]
  • Entre 1960 et 1999, le tableau est entreposé au Mobilier national.
  • En 1999, le Portrait de femme retourne au Louvre.
  • En février 2013, l’avocate des ayants-droit de Rosa et Jakob Oppenheimer adresse une demande de restitution au Service des Musées de France.
  • Le 11 mars 2014, Aurélie Filippetti, Ministre de la Culture et de la Communication du gouvernement français, restitue le Portrait de femme à la petite fille de Jakob et Rosa Oppenheimer.

 

  • En 1943, Paysage montagneux (de Joos de Momper) appartient au Baron Cassel van Doorn, un banquier belge, et fait partie des 3,478 œuvres[6] de sa collection installée dans ses manoirs du sud de la France.
  • En décembre 1943,[7] la toile est saisie par un commando de soldats allemands « épaulé par la gestapo française ».[8] La collection du Baron est emportée à Munich par un convoi ferroviaire spécial dénommé Berta et constitué de 18 wagons.[9]
  • Aucune information n’a été trouvée quant à l’emplacement du Paysage montagneux entre 1943 et 1945. La plupart des œuvres de la collection Cassel van Doorn ont été conservées à Munich en attendant d’être exposées au musée de Linz projeté par Hitler mais il ne semble pas que ce soit le cas de ce tableau précis.
  • En 1945, la toile est découverte dans les mines de sel d’Alt Aussee près de Salzbourg.
  • Le 17 novembre 1945, le tableau est envoyé au Collecting Point de Munich. La fiche de ce Collecting Point comporte l’indication « Hitler ». Cette indication pourrait signifier que le tableau était destiné au musée de Linz qu’Hitler voulait créer mais il ne figure pas sur l’inventaire de ce musée.
  • Le 3 juin 1949, la toile rentre en France. Il porte le numéro B (Berta) 3049.
  • En 1950, le Paysage montagneux est attribué au Louvre par l’Office des Biens et Intérêts Privés.
  • En 1953, il est confié au Musée des Beaux-Arts de Dijon.
  • En novembre 2012, l’avocate des ayants-droit du Baron Cassel van Doorn adresse une demande de restitution au Service des musées de France.
  • Le 11 mars 2014, Aurélie Filippetti, Ministre de la Culture et de la Communication, restitue le Paysage montagneux à la petite fille du Baron Cassel Van Doorn.

 

  • En 1941, Richard Soepkez, propriétaire du tableau Vierge à l’enfant (d’un artiste du cercle de Lippo Memmi), quitte la Roumanie devenue allemande car il refuse de prêter allégeance à ce nouveau régime.[10]
  • En 1944, cette toile se trouve dans la demeure cannoise (France) de la veuve du banquier roumain Richard Soepkez.
  • En juin 1944, elle est saisie par l’Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg (ERR), service chargé des spoliations nazies.
  • Le 19 mars 1946, le tableau passe par le Collecting Point de Munich.
  • En 1947, l’œuvre est rapatriée en France.[11]
  • En 1951, la Vierge à l’enfant est attribuée au Louvre par l’Office des Biens et Intérêts Privés.
  • Entre 1957 et 1982, le tableau fait l’objet d’un dépôt au musée des Beaux-Arts de Troyes.
  • En 2010, l’héritier de Richard Soepkez adresse une demande de restitution au Service des musées de France.
  • Le 11 mars 2014, Aurélie Filippetti, Ministre de la Culture et de la Communication, restitue la Vierge à l’enfant à l’arrière-petit-fils de Richard Soepkez.

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II. Processus de résolution

 

Facilitateur institutionnel

  • A partir de mars 2013, la Ministère de la Culture a mis en place une politique proactive consistant pour le gouvernement français à rechercher activement les héritiers des familles spoliées pour leur restituer les œuvres classées Musées Nationaux Récupération (MNR).
  • Toutefois, les trois restitutions qui nous intéressent s’inscrivent dans le cadre de la politique antérieure, laquelle consistait, pour le gouvernement français, à attendre les demandes des héritiers pour traiter de la restitution des MNR en cause. Cette politique faisait donc reposer sur les héritiers des familles spoliées par les nazis la charge de mener les recherches.
  • Jacqueline Domeyko, petite-fille du Baron Cassel van Doorn, lors de la cérémonie de restitution du 11 mars 2014, explique que sa famille, afin d’identifier les œuvres d’art appartenant à leur grand-père a dû mener des recherches pendant des années dans différents pays. Ce n’est qu’après avoir eux-mêmes retrouvé le Paysage montagneux que les héritiers du Baron Cassel van Doorn ont pu, en novembre 2012, avec l’aide de leur avocate Maître Hershkovitch, déposer une demande de restitution auprès des Services des musées de France.[12]
  • Les héritiers Oppenheimer ont également mené des recherches afin de retrouver les œuvres appartenant à leurs ancêtres et ont pour cela, fait appel à une société spécialisée dans ce domaine.[13] Ce n’est qu’en février 2013, qu’ils ont pu déposer une demande de restitution auprès des Services des musées de France.
  • En revanche, il semblerait que les héritiers de Richard Soepkez aient retrouvé le tableau appartenant à leur ancêtre un peu par hasard. Le petit fils de Richard Soepkez, Ion Florescu, a en effet expliqué lors de la cérémonie de restitution que si sa famille avait mené des recherches très actives en Roumanie afin d’obtenir la restitution des biens appartenant à leur ancêtre, elle n’en avait pas menée en France. Ce n’est qu’à l’occasion d’une recherche Google destinée à lui fournir des renseignements sur son grand père qu’il est arrivé sur le site internet Rose Valland et qu’il y a découvert La Vierge à l’enfant. Suite à cette découverte fortuite, une demande en restitution a été introduite directement par les héritiers de Richard Soepkez en 2010 auprès des Services des musées de France. Ion Florescu insiste sur la facilité avec laquelle il a obtenu la restitution de la toile, « très rapidement » et sans l’aide d’un avocat.[14]
  • Très peu d’informations sont disponibles sur le processus exact mené par le Service des musées de France entre le dépôt de la demande de restitution et la restitution des œuvres. On peut cependant imaginer que ce service procède dans un premier temps à une vérification du bien-fondé de la demande puis récupère les œuvres auprès des différents musées dépositaires et finalement règle administrativement leur sortie.

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III. Problèmes en droit

 

Propriété – Prescription

  • Les trois œuvres restituées par Aurélie Filippetti le 14 mars 2014 sont des œuvres classées MNR qui bénéficient, de ce fait, d’un statut juridique tout à fait particulier réglementé par le décret n° 49-1344 du 30 septembre 1949 relatif à la fin des opérations de la commission de récupération artistique.[15] En vertu de l’article 5 de ce décret, les MNR ont été mises en dépôt ou affectées à certains musées nationaux ou de province mais sans pour autant qu’un transfert de propriété se soit produit. Ces œuvres n’appartiennent pas à l’Etat, ni aux musées, qui en sont les simples dépositaires. Par ailleurs, le décret impose que les MNR soient inscrites sur un inventaire[16] « mis à la disposition des collectionneurs pillés ou spoliés jusqu’à expiration du délai légal de revendication ». Malgré trois projets de loi successifs,[17] ce délai n’a jamais été fixé. En conséquence, les propriétaires spoliés ou leurs ayants droit peuvent demander la restitution de leurs œuvres sans limite de temps.
  • Le statut particulier des MNR s’exprime à travers différentes caractéristiques qui permettent de les différencier des œuvres appartenant aux collections publiques : (i) elles doivent être accessibles au public ; (ii) le cartel, les catalogues, les guides ou tout autre support pédagogique les désignant doivent comporter le numéro d’inventaire comportant un préfixe et une mention spécifique indiquant leur provenance et leur lieu de dépôt ; (iii) la sortie du territoire français de ces œuvres est interdire (en conséquence, elles ne peuvent pas être prêtées pour une exposition à l’étranger).[18]
  • Afin d’obtenir la restitution d’une œuvre MNR, les héritiers des familles spoliées qui ont déposé une demande auprès du Service des musées de France doivent fournir des documents établissant leur propriété sur l’œuvre en cause ainsi que ceux établissant un lien généalogique entre eux et la personne spoliée.[19] Les demandeurs n’ont pas à démontrer l’existence de la spoliation puisque le statut de MNR emporte lui-même preuve de la spoliation.

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IV. Résolution du litige

Restitution sans condition

 

  • Le 11 mars 2014, Aurélie Filippetti, Ministre de la Culture et de la Communication du gouvernement français, restitue officiellement les trois tableaux aux ayants-droit des familles spoliées. Il s’agit d’une restitution inconditionnelle car l’Etat français n’a rien demandé en retour, son action ayant été dictée par un « devoir moral ».[20]

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V. Commentaire

 

  • Le gouvernement français, depuis la publication du rapport de la sénatrice Corinne Bouchoux[21] sur ce sujet, semble prendre à cœur la restitution des œuvres spoliées. Cette préoccupation s’est illustrée par la mise en place, en mars 2013, d’un groupe de travail pour retracer l’origine des MNR. Ce groupe, composé notamment d’historiens et d’archivistes, a déjà pu établir la provenance de 28 de ces œuvres pour lesquelles il ne reste donc plus qu’à identifier les ayants-droit en faisant appel à des généalogistes. Comme l’explique Aurélie Filippetti, « la France a changé de logique. Jusqu’en mars, il fallait une réclamation pour pouvoir ouvrir un dossier de restitution. Désormais, nous sommes proactifs».[22] Ce « travail de mémoire, d’histoire » est dicté, selon les termes de la Ministre, par un « devoir moral » ; celui de « traiter des demandes de restitution avec le plus grand sérieux ».[23]
  • Cette nouvelle manière « proactive » de fonctionner semble fonctionner puisque déjà en mars 2013, la Ministre avait restitué sept œuvres parmi lesquelles six tableaux du XVIIe et XVIIIe siècle qui ont été rendues à Thomas Selldorff.[24]
  • Les ayants-droits des familles spoliées se réjouissent de cette attitude du gouvernement français car ils insistent sur la difficulté que représentent les démarches administratives nécessaires à une restitution. Ils soulignent également à quel point il est important et symbolique, pour des ayants-droit, d’obtenir la restitution d’œuvres ayant appartenu à leur famille. Comme le formule très justement Jacqueline Domeyko, petite-fille du Baron Cassel van Doorn, « obtenir un tableau, c’est récupérer une mémoire, une identité ».[25]

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VI. Sources

a. Doctrine

  • Hoffman Barbara T. (edit.), Art and Cultural Heritage – Law, Policy and Practice, New York, Cambridge University Press, 2006.
  • Mattéoli Jean, Le Pillage de l’art en France pendant l’occupation et la situation des 2000 œuvres confiées aux musées nationaux, La Documentation française, 2000.
  • Pontier Jean-Marie, Spoliation des œuvres d’art: quelle indemnisation ?, in ADJDA, 2011, p. 343.

b. Législation

  • Décret n° 49-1344 du 30 septembre 1949 relatif à la fin des opérations de la commission de récupération artistique (JO du 02.10.1949).

c. Documents

d. Médias

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[1] La plupart des informations présentées sous cette rubrique proviennent du dossier de presse réalisé par le Ministère de la Culture et de la Communication (disponible sur http://www.culturecommunication.gouv.fr/Presse/Dossiers-de-presse/Ceremonie-de-restitution-aux-ayants-droit-de-trois-tableaux-spolies, 24.03.2014). Les références provenant de sources différentes feront l’objet d’une note de bas de page distincte.

[2] Discours prononcé par Aurélie Filippetti lors de la cérémonie de restitution (vidéo disponible sur http://www.culturecommunication.gouv.fr/index.php/Actualites/En-continu/L-histoire-de-trois-tableaux-voles-par-les-nazis, 24.03.2014).

[3] Voir pour un autre tableau également vendu lors de cette vente : Anne Laure Bandle, Alessandro Chechi, Marc-André Renold, “Case Road to Calvary – Oppenheimer Heirs and Private Person,” Platform ArThemis (http://unige.ch/art-adr), Art-Law Centre, University of Geneva.

[4] Hoffman, p. 186.

[5] Selon Jean-Marie Pontier, « cet Office des biens et intérêts privés a été créé en 1919 pour régler le cas des biens spoliés durant la Première Guerre mondiale. Placé sous l’autorité du Ministre chargé des finances et du Ministre des affaires étrangères, il était chargé de récupérer et de recenser les documents, archives, titres, valeurs, objets mobiliers et autres provenant des organismes allemand de séquestre des biens français dans les départements français devenus allemands après la défaite de 1870, et il était chargé de restituer les biens, ou d’indemniser les propriétaires (ou ayants droit) dans le cas de la destruction desdits biens. » (Pontier, L. 55-6).

[6] Carpentier, L. 6.

[7] Discours prononcé par Aurélie Filippetti lors de la cérémonie de restitution.

[8] Carpentier, L. 7-8.

[9] Discours prononcé par Aurélie Filippetti lors de la cérémonie de restitution.

[10] Discours d’Ion Florescu lors de la cérémonie de restitution (vidéo disponible sur http://www.culturecommunication.gouv.fr/index.php/Actualites/En-continu/L-histoire-de-trois-tableaux-voles-par-les-nazis, 24.03.2014).

[11] Discours prononcé par Aurélie Filippetti lors de la cérémonie de restitution.

[12] Discours prononcé par Jacqueline Domeyko lors de la cérémonie de restitution (vidéo disponible sur http://www.culturecommunication.gouv.fr/index.php/Actualites/En-continu/L-histoire-de-trois-tableaux-voles-par-les-nazis, 24.03.2014).

[13] Discours de Thierry Tonnelier, avocat de la famille Oppenheimer, lors de la cérémonie de restitution (vidéo disponible sur http://www.culturecommunication.gouv.fr/index.php/Actualites/En-continu/L-histoire-de-trois-tableaux-voles-par-les-nazis, 24.03.2014).

[14] Discours d’Ion Florescu lors de la cérémonie de restitution.

[15] JO du 02.10.1949.

[16] A l’origine, cette exigence d’inventaire a donné lieu, entre 1947 et 1949, à la publication du Répertoire des biens spoliés en France durant la guerre 1939-1945 qui a été numérisé et peut être consulté sur le site Rose-Valland Musées Nationaux Récupération (http://www.culture.gouv.fr/documentation/mnr/MnR-rbs.htm, 06.04.2014).

[17] Mattéoli, p. 39.

[18] Site Rose-Valland Musées Nationaux Récupération : http://www.culture.gouv.fr/documentation/mnr/MnR-pres.htm.

[19] Ibid.

[20] Discours prononcé par Aurélie Filippetti lors de la cérémonie de restitution.

[21] Rapport de Mme Corinne Bouchoux, sénatrice, présenté au Sénat en janvier 2013, Œuvres culturelles spoliées ou au passé flou et musées publics : bilan et perspectives (http://www.senat.fr/fileadmin/Fichiers/Images/redaction_multimedia/4P_C_Bouchoux_oeuvres_spoliees__vJM_cor_CB.pdf, 23.02.2014).

[22] Bommelaer, L. 8-9.

[23] Discours prononcé par Aurélie Filippetti lors de la cérémonie de restitution.

[24] Discours prononcé par Aurélie Filippetti le 19 mars 2013 (http://discours.vie-publique.fr/notices/133000709.html) (23.03.2014).

[25] Discours prononcé par Jacqueline Domeyko lors de la cérémonie de restitution.

 

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