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Sumpflegende – Héritiers Lissitzky-Küppers et Ville de Munich

Après 25 ans de litige juridique et de négociation, le sort de « Sumpflegende », un tableau de Paul Klee prêté à une galerie allemande en 1926 puis confisqué par les Nazis au titre d’art « dégénéré », est scellé. En juillet 2017, les héritiers de Sophie Lissitzky-Küppers, laquelle avait prêté le tableau, concluent un accord avec la Ville de Munich et une fondation privée. L’œuvre reste exposée dans un musée munichois et les héritiers Lissitzky-Küppers sont indemnisés.

 

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Citation: Vanessa Vuille, Alessandro Chechi, Marc-André Renold, « Affaire Sumpflegende – Héritiers Lissitzky-Küppers et Ville de Munich, » Platforme ArThemis (http://unige.ch/art-adr), Centre du droit de l’art, Université de Genève.

Après 25 ans de litige juridique et de négociation, le sort de « Sumpflegende », un tableau de Paul Klee prêté à une galerie allemande en 1926 puis confisqué par les Nazis au titre d’art « dégénéré », est scellé. En juillet 2017, les héritiers de Sophie Lissitzky-Küppers, laquelle avait prêté le tableau, concluent un accord avec la Ville de Munich et une fondation privée. L’œuvre reste exposée dans un musée munichois et les héritiers Lissitzky-Küppers sont indemnisés.

I. Historique de l’affaire

Spoliations nazies

  • 1919 : Paul Küppers, époux de l’historienne de l’art Sophie Küppers, acquiert le tableau « Sumpflegende » (« Légende du Marais », ci-après « le Tableau ») directement auprès de peintre Paul Klee.
  • 1922 : Paul Küppers décède ; Sophie Küppers hérite sa collection.
  • Août 1926 : Avant de rejoindre son nouveau compagnon, l’artiste soviétique El Lissitzky, Sophie Küppers confie sa collection au Musée Provincial de Hanovre sous la forme d’un prêt permanent. La collection comprend une sculpture et seize peintures, dont le Tableau.
  • 5 juillet 1937 : Le Tableau est confisqué dans le cadre de l’opération « Entartete Kunst » (art dégénéré), puis présenté dans une exposition homonyme à Munich, du 19 juillet et jusqu’au mois de novembre.
  • Décembre 1940 : Hildebrand Gurlitt, célèbre marchand et collectionneur d’art allemand qui travaillait étroitement avec les Nazis, acquiert le Tableau.
  • 1962 : Le Tableau réapparaît lors d’une vente aux enchères de la maison Lempertz à Cologne. Wilhelm Arntz l’achète au prix de 88 000 marks pour le compte du célèbre galeriste bâlois Ernst Beyeler. Ce dernier revend ensuite le Tableau à un autre collectionneur privé suisse.
  • 1973 : Le Tableau est acquis par la galerie Rosengart, à Lucerne.
  • 1978 : Sophie Lissitzky-Küppers décède après avoir vainement tenté de récupérer sa collection. Son fils Jen Lissitzky poursuit les recherches.
  • 1982 : Le Tableau est acquis conjointement par la Ville de Munich et la Fondation Gabriele Münter et Johannes Eichner pour environ 700 000 marks, puis prêté à la Galerie im Lenbachhaus de Munich.[1]
  • Mars 1992 : Jen Lissitzky obtient la prise de mesures provisoires afin de « bloquer » le Tableau présenté dans une exposition à Berlin. Ces mesures sont toutefois annulées par la Cour d’appel de Berlin avant d’avoir pu être mises en œuvre.
  • 8 décembre 1993 : Jen Lissitzky saisit un tribunal munichois d’une demande en restitution du Tableau. Il est débouté.
  • 23 mars 2012 : Les héritiers Lissitzky déposent une nouvelle requête en justice.
  • 24 avril-17 mai 2013 : La juge en charge de l’affaire accorde du temps aux parties afin d’essayer de trouver une solution à l’amiable.
  • 21 juillet 2017 : Les héritiers Lissitzky, la Ville et la Fondation parviennent à un accord.

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II. Processus de résolution

Action en justice – Décision judiciaire – Négociation – Accord transactionnel

  • Au début de l’année 1992, après avoir retrouvé la trace du Tableau au Lenbachhaus de Munich, Jen Lissitzky cherche à en négocier la restitution. Mais le musée refuse d’entrer en matière. Le 8 décembre 1993, Jen Lissitzky intente alors une action en justice contre la Ville de Munich. Mais il est débouté, le tribunal munichois saisi ayant estimé d’une part que la Ville avait acquis le Tableau de bonne foi et d’autre part que l’action en revendication, possible durant les trente ans qui suivent le dessaisissement, était prescrite.[2]
  • Dès le début des années 2000, les héritiers de Sophie Lissitzky-Küppers négocient la restitution de trois autres tableaux auprès de galeries situées à Cologne, à Kyoto et à Bâle. Afin de récupérer le Tableau, Peter Küppers, petit-fils de Sophie Lissitzky-Küppers, entame également des négociations avec le maire de Munich, Christian Ude. Sous la pression médiatique, ce dernier accepte d’entrer en matière, avant de se rétracter.[3]
  • Forts de nouveaux éléments de preuve censés démontrer l’absence de bonne foi des acquéreurs, les héritiers déposent une nouvelle plainte contre la Ville de Munich le 23 mars 2012. Ils se fondent notamment sur un document du 17 septembre 1937 dans lequel l’officier nazi en charge des œuvres d’art « dégénéré » indique que toute une série d’œuvres saisies, y compris celles de Mme Lissitzky-Küppers, devront être restituées à leurs propriétaires respectifs.[4]
  • Les héritiers Lissitzky-Küppers tentent de saisir la commission de médiation allemande[5] créée afin de mettre en œuvre les Principes de Washington de 1998 et la Déclaration de 1999 sur la provenance et la restitution de biens spoliés.[6] L’objectif est de parvenir à une « solution juste et équitable », la commission jouant le rôle de médiateur. Pour intervenir, cette dernière requiert l’accord de toutes les parties au conflit. Or, le maire de Munich refuse.[7]
  • Du 24 avril au 17 mai 2013, la juge saisie accorde aux parties un ultime délai afin de tenter de parvenir à un accord.
  • Le 21 juillet 2017, après 25 ans de litige juridique et de négociations, l’affaire se clôt par un accord à l’amiable entre les héritiers Lissitzky-Küppers, la Ville de Munich et la Fondation Gabriele Münter et Johannes Eichner. Le très bon dossier monté par les héritiers Lissitzky-Küppers aurait incité la Ville et la fondation à reprendre des négociations.

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III. Problèmes en droit

Propriété – Due diligence – Prescription

  • La présente affaire porte sur la propriété du Tableau. Les héritiers de Sophie Lissitzky-Küppers en revendiquent la propriété car le Tableau appartenait à leur ancêtre et leur revenait par droit de succession. Le Tableau n’avait été que prêté par Sophie Lissitzky-Küppers au Musée Provincial de Hanovre, avant d’être confisqué par les Nazis.
  • De leur côté, la Ville de Munich et la Fondation Gabriele Münter et Johannes Eichner arguent de leur bonne foi au moment de leur acquisition du Tableau et de sa possession paisible durant au moins trente ans, soit le délai de prescription de l’action en revendication d’un bien volé prévu par le code civil allemand.
  • Comme la plupart des droits de tradition civiliste, le droit allemand protège en effet l’acquéreur de bonne foi d’un bien volé s’il a détenu le bien paisiblement durant le délai prévu par la loi (en général, trente ans pour les biens culturels). En l’espèce, le dessaisissement s’étant produit en 1937, le délai était manifestement échu lorsque Jan Lissitzky a déposé sa première requête en 1992.
  • Mais le droit ne protège pas l’acquéreur de mauvaise foi. C’est pourquoi les héritiers Lissitzky-Küppers se sont attachés à démontrer l’absence de bonne foi de la Ville et de la Fondation.

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IV. Résolution du litige

Indemnisation – Geste symbolique

  • Le litige a finalement été résolu par un accord confidentiel conclu entre la Ville de Munich et les héritiers de Sophie Lissitzky-Küppers.
  • Cet accord prévoit que le Tableau reste dans la collection du Musée Lenbachhaus. En contrepartie, les héritiers sont, d’une part, indemnisés par trois fondations (la Fondation Münter, la Fondation pour l’Art Ernst von Siemens ainsi que la Fondation culturelle fédérale) à hauteur de la valeur marchande du Tableau, soit entre 500 000 et 3,5 millions d’euros. D’autre part, le Tableau devra être en permanence accompagné d’un document indiquant son historique de propriété.[8]

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V. Commentaire

  • Le pillage des œuvres d’art par les Nazis a pris plusieurs formes : la spoliation d’œuvres d’art appartenant à des familles juives (ci-après « Raubkunst ») et celles d’œuvres d’art dit « dégénéré » (ci-après « entartete Kunst », par opposition à un art « véritable » correspondant au goût artistique nazi). Tandis que la spoliation des premières avait pour principal motif l’origine juive des propriétaires des biens, la confiscation des secondes était justifiée par la « difformité » de l’art représenté. Pour autant, le « Raubkunst » et l’« entartete Kunst » méritent-ils un traitement différencié ? C’est, en substance, l’argument avancé par la Ville de Munich après la signature des Principes de Washington par l’Allemagne, en 1998.[9] La Ville arguait en effet que ces principes juridiquement non contraignants, qui encouragent la recherche de solutions « justes et équitables » en matière de restitution de biens spoliés, ne s’appliquent qu’aux affaires portant sur des biens spoliés à des Juifs, et non aux œuvres d’art dégénéré telles que le Tableau. Il est vrai que l’« entartete Kunst » n’était pas censé être conservé par les Nazis, qui, après l’avoir exposé, préféraient souvent le détruire ou le revendre. Mais à notre sens, il est clair que tant le « Raubkunst » que l’« entartete Kunst » ont été effectués à l’intérieur d’un seul et même cadre historique et idéologique. De plus, ces deux notions peuvent se chevaucher, notamment dans l’hypothèse où l’art spolié à une famille juive serait par ailleurs considéré comme de l’art dégénéré. Pour ces raisons, il ne nous paraît pas justifié d’accorder une protection moins étendue à l’« entartete Kunst » qu’au « Raubkunst ».
  • Cette affaire démontre quels peuvent être les facteurs qui influencent la volonté des parties de conclure – ou non – un accord lorsque survient une demande de restitution. D’abord, des éléments extrinsèques aux parties peuvent jouer un rôle non négligeable : en l’espèce, la pression médiatique et l’opinion publique avaient incité le maire munichois de l’époque, Christian Ude, à entrer en matière au sujet de la demande de restitution. Mais quelques mois plus tard, au printemps 2009, les mauvais résultats politiques de son parti l’auraient poussé à retourner sa veste et à refuser les négociations.[10] Finalement, l’élément déterminant dans cette affaire semble avoir été la crainte d’une nouvelle procédure judiciaire longue, coûteuse et potentiellement déshonorante. En effet, grâce à de nouveaux documents, les héritiers de Sophie Lissitzky-Küppers auraient monté un excellent dossier, à même de démontrer l’absence de bonne foi de la Ville et de la Fondation au moment de l’acquisition du Tableau.
  • La presse et une partie de la classe politique allemande ont vivement critiqué l’attitude des autorités munichoises dans cette affaire, leur obstination à ne s’en tenir qu’au droit (et non à des principes moraux ou éthiques comme les Principes de Washington) ainsi que le retournement de veste opportuniste de Christian Ude en 2009.[11] C’est d’autant plus compréhensible que parallèlement à l’affaire du Tableau, les négociations entre les héritiers Lissitzky-Küppers et trois autres institutions muséales (à Cologne, Kyoto et Bâle) ont, elles, abouti à des restitutions et à des compensations.

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VI. Sources

a. Doctrine

  • M. Müller/M. Tatzkow, Lost Lives, Lost Art, New York (The Vendome Press) 2010, pp. 98-115.

 

b. Médias

  • EHT/DPA, Streit um Klee-Bild beendet, in: Der Spiegel, 26 juillet 2017, http://www.spiegel.de/kultur/gesellschaft/sumpflegende-von-paul-klee-streit-um-bild-niedergelegt-a-1159812.html (21.11.2017).
  • C. Hickley, After 26 Years, Munich Settles Case Over a Klee Looted by the Nazis, in: New York Times, 26 juillet 2017, https://www.nytimes.com/2017/07/26/arts/design/after-26-years-munich-settles-case-over-a-klee-looted-by-nazis.html (21.11.2017).
  • R.-M. Gropp, Schritte in die richtige Richtung, in: Frankfurter Allgemeine, 6 mai 2013, http://www.faz.net/aktuell/feuilleton/kunst/restitutionsstreit-klees-sumpflegende-schritte-in-die-richtige-richtung-12173245.html (21.11.2017).
  • R.-M. Gropp, Der Weg ist frei, in: Frankfurter Allgemeine, 19 décembre 2012, http://www.faz.net/aktuell/feuilleton/kunst/paul-klees-sumpflegende-der-weg-ist-frei-11999203.html (21.11.2017).
  • N. Maak, Ude im Sumpf, in: Frankfurter Allegmeine, 19 mai 2009, http://www.faz.net/aktuell/feuilleton/raubkunst-ude-im-sumpf-1796913.html (21.11.2017).

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[1] Müller/Tatzkow, p. 103-113.

[2] Ibid., p. 114.

[3] Ibid., pp. 114-115.

[4] Hickley.

[5] « Beratende Kommission im Zusammenhang mit der Rückgabe NS-verfolgungsbedingt entzogener Kulturgüter, insbesondere aus jüdischem Besitz », plus couramment appelée « Limbach-Kommission ».

[6] « Erklärung der Bundesregierung, der Länder und der kommunalen Spitzenverbände zur Auffindung und zur Rückgabe NS-verfolgungsbedingt entzogenen Kulturgutes, insbesondere aus jüdischem Besitz ».

[7] Hickley.

[8] Hickley; Grott, Schritte in die richtige Richtung; ETH/DPA.

[9] Hickley.

[10] Müller/Tatzkow.

[11] Maak.

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