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Jardin à Auvers – Agent judiciare du Trésor c. Walter

Dans son arrêt du 20 février 1996, la Cour de Cassation de la France a condamné l’Etat français à indemniser le propriétaire d’un tableau dont l’exportation avait été refusée pour cause de classement d’office.

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Citation : Ece Velioglu, Anne Laure Bandle, Marc-André Renold, « Affaire Jardin à Auvers – Agent judiciaire du Trésor c. Walter », Plateforme ArThemis (http://unige.ch/art-adr), Centre du droit de l’art, Université de Genève.

 

 

Dans son arrêt du 20 février 1996, la Cour de Cassation de la France a condamné l’Etat français à indemniser le propriétaire d’un tableau dont l’exportation avait été refusée pour cause de classement d’office. D’autre part, la Cour a retenu la méthode d’évaluation qui se base sur la différence entre la valeur du tableau sur le marché national et international au moment du classement.

 

I. Historique de l’affaire

  • En 1955, Jacques Walter a acquis à New York un tableau de Vincent Van Gogh intitulé « Jardin à Auvers » au prix de 1,5 million de francs français (FF) qu’il a ensuite apporté en France[1].
  • En 1981, M. Walter a fait une demande d’autorisation d’exportation auprès du Ministère de la Culture français dans laquelle il a estimé la valeur du tableau à 6 million de FF.
  • Le 4 juin 1982, le Ministère de la Culture a refusé la demande de M. Walter.
  • Le 20 juin 1988, une procédure administrative a été initiée pour le classement du tableau comme monument historique.
  • Le 25 septembre 1989, l’avocat de M. Walter a déposé pour le compte de M. Walter une nouvelle demande d’exportation pour que le tableau puisse être transporté au domicile de M. Walter à Genève. Dans le formulaire administratif signé par M. Walter le 26 Juin 1989, le prix du tableau était estimé à 200 million de FF.
  • Par le décret du 28 juillet 1989 (« le décret »)[2], le tableau a été classé comme monument historique.
  • Le 12 octobre 1989, la licence d’exportation de M. Walter a été de nouveau refusée pour le motif qu’il s’agissait d’une œuvre classée.
  • Le 28 novembre 1989, M. Walter a exercé un recours au Conseil d’Etat contre le décret.
  • Le 3 mai 1990, M. Walter a, par ailleurs, adressé au Ministère de la Culture une demande d’indemnisation de 250 million de FF en réparation du préjudice subi à cause du classement d’office du tableau.
  • Le 31 juillet 1992, le Conseil d’Etat a rejeté le recours de M. Walter. Il a confirmé la légalité de la procédure de classement malgré l’absence formelle de notification, et a retenu que le tableau « Jardin à Auvers » présentait « un intérêt public au point de vue de l’histoire de l’art »[3].
  • Le 6 décembre 1992, M. Walter a vendu le tableau pour le prix de 55 million de FF dans une vente aux enchères à Paris. Après la vente, M. Walter a introduit une action contre l’agent judiciaire du Trésor en demandant à l’Etat une indemnisation de 250 million de FF avec intérêts depuis la date du décret en réparation de son préjudice.
  • Le 28 mai 1993, le Tribunal d’instance du premier arrondissement de Paris a décidé que M. Walter avait droit à une indemnisation qui, par la suite était fixée aux environs de 422 million de FF. L’agent judiciaire du Trésor a fait recours à la Cour d’appel contre cette décision.
  • Dans son arrêt du 6 juillet 1994, la Cour d’appel a rejeté les différentes défenses de l’Etat et a réduit l’indemnisation à 145 million de FF. L’Etat français et M. Walter ont tous les deux saisis la Cour de Cassation.
  • Le 20 février 1996, la Cour de Cassation a confirmé la décision de la Cour d’appel[4].

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II. Processus de résolution

Action en justice – Décision judiciaire

  • Dans la présente affaire, l’Etat français et M. Walter ont poursuivi des démarches administratives et légales pendant 15 ans. Le litige est résolu par la décision de la Cour de Cassation, la plus haute juridiction en France. Les parties n’ont pas considéré la possibilité de recourir à un processus de résolution à l’amiable, notamment en ce qui concerne le montant de l’indemnisation.

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III. Problèmes en droit

Propriété – Expropriation (limitation du droit de propriété)

  • Lors de la survenance du litige, l’Etat français disposait de deux moyens pour empêcher la sortie d’un bien culturel de son territoire. Premièrement, la loi du 23 juin 1941 relative à l’exportation des œuvres d’art (« loi de 1941 ») prévoyait un système d’autorisation pour l’exportation des objets présentant un intérêt national d’histoire et d’art[5]. Par application de cette loi, l’Etat pouvait directement refuser l’exportation d’un tel objet. Deuxièmement, la loi du 31 décembre 1913 sur les monuments historiques (« loi de 1913 ») permettait à l’Etat de classer d’office les biens mobiliers « dont la conservation présente, au point de vue de l’histoire, de l’art, de la science ou de la technique, un intérêt public »[6]. Une fois classés, les biens étaient soumis à une interdiction d’exportation[7]. Dès lors, par le biais du classement, l’Etat pouvait empêcher une exportation[8]. En l’espèce, les deux procédés ont été appliqués. Une première licence d’exportation a été refusée à M. Walter le 4 juin 1982 sur la base de la loi de 1941. La cause du deuxième refus du 12 octobre 1989 a été le classement d’office du tableau survenu le 28 juillet 1989.
  • L’affaire Walter a soulevé deux questions juridiques : (1) le propriétaire d’une œuvre d’art à qui l’exportation est refusée, a-t-il droit à une indemnisation et, le cas échéant, sur quelle base légale ? (2) Dans l’affirmative, comment déterminer le montant de l’indemnisation ?
  • Concernant la première question, la loi du 1941 restait silencieuse et selon la jurisprudence française, aucune indemnité n’était donc prévue pour un simple refus d’exportation[9]. La loi de 1913, par contre, permettait, dans son article 16, le « paiement d’une indemnité représentative du préjudice résultant pour le propriétaire de l’application de la servitude de classement d’office ». Le simple fait du classement ne donnant pas droit à une indemnisation, le propriétaire devait par surcroît prouver qu’il avait souffert d’un préjudice certain et direct[10].
  • La Cour de Cassation dans sa jurisprudence Schlumpf de 1991, a confronté ces deux lois sur le point de l’indemnisation et en a conclu que: « à défaut du classement d’office, le Ministre de la Culture et de la Communication, lequel dispose, en vertu de la loi du 23 juin 1941, d’un pouvoir discrétionnaire, aurait pu refuser d’autoriser l’exportation de la collection Schlumpf, ce qui aurait empêché un préjudice identique, mais non indemnisable dans cette hypothèse, de telle sorte que le dommage invoqué, prétendument causé par le classement d’office, était incertain »[11]. Suivant cette logique comparative, le préjudice causé par le classement d’office restait donc dans tous les cas incertain, ce qui écartait la possibilité d’indemnisation basée sur la loi de 1913 (en rendant la disposition de l’article 16 ineffective)[12].
  • Dans l’affaire Walter, la Cour de Cassation a raisonné différemment. Elle a repris la motivation de la Cour d’appel qui est la suivante: « le préjudice résultant pour le propriétaire d’un tableau de l’interdiction définitive d’exportation fondée sur la seule mesure de classement d’office de cette œuvre a pour unique origine cette mesure qui, en vertu de l’article 16 de la loi du 31 décembre 1913, ouvre au propriétaire un droit à indemnisation »[13]. La Cour a donc reconnu le caractère certain du préjudice lorsque ceci est lié directement au classement d’office de l’œuvre.
  • La deuxième question importante soulevée par le litige a été l’évaluation du préjudice subi par M. Walter. La Cour d’appel s’est ainsi chargée de comparer le prix de vente du tableau en France avec celui d’œuvres comparables sur le marché international au moment du classement (le moment où le préjudice a été subi). Elle a également tenu compte de l’avis de l’expert nommé qui, dans son rapport, s’est basé sur les prix de ventes publiques d’autres œuvres de Van Gogh. La Cour en a déduit que l’estimation avancée par M. Walter (200 million de FF) était bien faite. Quant aux intérêts revendiqués par M. Walter, la Cour d’appel a fixé comme point de départ la date à laquelle sa décision sur le montant de l’indemnisation devient définitive. La Cour de Cassation a confirmé le processus d’évaluation de l’indemnité de la Cour d’appel[14].
  • Dans l’affaire Walter, les implications du classement de l’œuvre sont surtout discutées autour de la question de l’indemnité. Il est tout de même important de souligner que le classement d’office prive le propriétaire de l’œuvre d’une partie de son droit de disposition sur son bien[15]. La limitation principale à son droit de propriété est l’interdiction définitive d’exporter le tableau, « privant le propriétaire de la possibilité de négocier son bien sur le marché international des œuvres d’art »[16]. En outre, l’œuvre classée ne peut être ni modifiée ni réparée sans l’accord des autorités culturelles[17]. Il semblerait que ces contraintes reviennent à une expropriation partielle du droit du propriétaire de disposer librement de son bien.

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IV. Résolution du litige

Indemnisation

  • En raison du préjudice subi du fait du classement d’office du son tableau, M. Walter a eu droit à une indemnisation de 145 million de FF. La somme indemnisée représente la différence entre la valeur estimée du tableau de 200 million de FF et le prix de vente du tableau en France (55 million de FF)[18].

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V. Commentaire

 

  • Les Etats imposent souvent des restrictions sur la propriété privée afin de contrôler l’exportation de biens culturels qu’ils estiment importants pour le patrimoine national, tel que le refus d’autorisation d’exportation et le classement d’office dont les implications sont discutées dans cette affaire. Ces restrictions sont très débattues  sur le plan international, car elles touchent le droit fondamental de propriété[19].
  • Cette affaire est aussi intéressante au plan national par le fait que la Cour de Cassation a opéré un revirement de jurisprudence. Antérieurement, la pratique de la Cour suprême ne permettait pas d’accorder une indemnité au propriétaire d’une œuvre d’art classée en France, malgré la disposition de l’article 16 de la loi de 1913[20]. Ce revirement était très probablement lié à la réforme législative de la loi du 31 décembre 1992 sur l’exportation[21]. Suite à l’introduction de cette nouvelle loi, la Cour de Cassation ne pouvait que difficilement tenir sa position critiquable[22].
  • Cette affaire nous permet également de réfléchir sur les méthodes utilisées par les juges pour évaluer le préjudice subi dans le cas d’une œuvre classée d’office. La Cour d’appel, ainsi que la Cour de Cassation, ont retenu comme la cause du préjudice le seul fait que le tableau ne peut quitter le territoire national, donc « la perte du marché international »[23]. Cette position a été critiquée, notamment en remettant en question s’il s’agissait bien du classement qui a provoqué la baisse ou les conditions de la vente aux enchères n’attirant pas d’acheteur prêt à payer un prix supérieur[24]. Il n’est donc pas toujours très évident de déterminer le lien de causalité entre le préjudice et le classement. Un autre point soulevé concerne l’utilisation des fonds publics. Comme illustré par cette affaire, le procédé selon lequel les prix de ventes sont comparés peut amener à des montants importants. En l’espèce, l’Etat français a été contraint de payer une somme importante provenant des fonds publics, malgré le fait que l’œuvre en question restera en propriété privée et ne sera pas accessible au public[25].

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VI. Sources

a. Doctrine

  • CORNU Marie, NEGRI Vincent, Code du patrimoine et autres textes relatifs aux biens culturels, Paris (LexisNexis SA) 2010.
  • EDELMAN Bernard, « Note », Cass. 1re civ., 20 février 1996, Recueil Dalloz Sirey 1996, Jur. p. 511 ss.
  • RAMIER Timothy P., Agent Judiciaire du Trésor v. Walter ; Fait du Prince and a King’s Ransom, in International Journal of Cultural Property, vol. 6, 1997, p. 337 ss.
  • POLI Jean-Français, « Note », La Semaine Juridique 1996, éd. G, II, 22672.
  • THOMAS Dominique, « Note », CE, 31 juillet 1992, Dalloz 1994, Jur. p.17 ss.

b. Décisions judiciaires

  • Cour de la Cassation, 1re civ., arrêt Agent judiciaire du Trésor contre Walter, 20 février 1996, nº 94-17029.
  • Cour d’appel de Paris, 1re ch. A, arrêt Agent judiciaire du Trésor contre Walter, 6 juillet 1994.
  • Conseil d’Etat, 31 juillet 1992, nº 111758.

c. Législation

  • Loi du 31 décembre 1913 sur les monuments historiques.
  • Loi du 23 juin 1941 relative à l’exportation des œuvres d’art (JO du 19 juillet 1941).
  • Décret du 28 juillet 1989 portant classement parmi les sites historiques d’un tableau représentant le « Jardin à Auvers » peint par Vincent Van Gogh en 1890 (JO du 4 août 1989).
  • Loi du 31 décembre 1992 relative aux produits soumis à certaines restrictions de circulation et à la complémentarité entre les services de police, de gendarmerie et de douane (JO du 5 janvier 1993).

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[1] Sans indications spécifiques, les faits rapportés dans l’historique sont tirés de RAMIER Timothy P., Agent Judiciaire du Trésor v. Walter ; Fait du Prince and a King’s Ransom, in International Journal of Cultural Property, vol. 6, 1997, p. 337 ss. ; EDELMAN, Bernard, « Note », Cass. 1re civ., 20 février 1996, Recueil Dalloz Sirey 1996, Jur. p. 511 ss.

[2] Décret du 28 juillet 1989 portant classement parmi les sites historiques d’un tableau représentant le « Jardin à Auvers » peint par Vincent Van Gogh en 1890.

[3] Conseil d’Etat, 31 juillet 1992, nº 111758. Pour des commentaires sur cet arrêt, voir THOMAS Dominique, « Note », CE, 31 juillet 1992, Dalloz 1994, Jur. p.17 ss. ; POLI Jean-Français, Le classement d’un tableau de Van Gogh comme « monument historique », in Revue française de droit administratif, vol. 10 (2), mars-avril 1994, p. 259 ss.

[4] Cour de la Cassation, 1re civ., arrêt Agent judiciaire du Trésor contre Walter, 20 février 1996, nº 94-17029.

[5] Loi nº 2595 du 23 juin 1941 relative à l’exportation des œuvres d’art. Cette loi a été abrogée par la Loi nº 92-1477 du 31 décembre 1992 relative aux produits soumis à certaines restrictions de circulation et à la complémentarité entre les services de police, de gendarmerie et de douane.

[6] Loi du 31 décembre 1913 sur les monuments historiques. Cette loi a été partiellement abrogée par l’Ordonnance 2004-178 (Code du patrimoine).

[7] Voir l’article 21 de la Loi de 1913.

[8] POLI Jean-Français, « Note », La Semaine Juridique 1996, éd. G, II, 22672, p. 304.

[9] Ibid.

[10] Ibid. ; CORNU Marie, NEGRI Vincent, Code du patrimoine et autres textes relatifs aux biens culturels, Paris (LexisNexis SA) 2010, p. 367.

[11] Dans cette affaire similaire, une collection de voitures anciennes avait fait l’objet d’un classement d’office par l’application de la loi de 1913. Cour de la Cassation, 1re civ., arrêt Agent judiciaire du Trésor et Min. culture contre MM. Dufay et Trensz, ès qual. de syndics à la liquidation des biens de MM. Schlumpf, 28 mai 1991, nº 89-14.818, 89-14.989.

[12] EDELMAN, op. cit., p. 513.

[13] Cour de la Cassation, 1re civ., arrêt Agent judiciaire du Trésor contre Walter, 20 février 1996, nº 94-17029.

[14] Ibid.

[15] THOMAS Dominique, « Note », CE, 31 juillet 1992, Dalloz 1994, Jur. p. 20. Par ailleurs, comme le droit français prévoyait une réparation à ce préjudice subi par le propriétaire, la Commission Européenne des Droits de l’Homme a estimé que le classement ne constituait pas une violation de l'article 1 du Protocole N° 1 sur la protection de la propriété. Voir la décision d’irrecevabilité de la Commission (Plénière), Walter contre la France, 30 aout 1994, requête n° 21535/93.

[16] Cour d’appel de Paris, 1re ch. A, arrêt Agent judiciaire du Trésor contre Walter, 6 juillet 1994.

[17] THOMAS Dominique, op. cit.

[18] Cour de la Cassation, 1re civ., arrêt Agent judiciaire du Trésor contre Walter, 20 février 1996, nº 94-17029.

[19] La Commission Européenne des Droits de l’Homme a considéré que dans l’affaire Walter, les autorités françaises avaient respectées le juste équilibre entre les intérêts en cause : les exigences de l'intérêt général (dans ce cas, la protection du patrimoine culturel) et les impératifs de sauvegarde des droits fondamentaux de l'individu. Voir la décision d’irrecevabilité de la Commission (Deuxième Chambre), Walter contre la France, 20 mai 1998, requête n° 32035/96. Pour un exemple dans lequel, la Cour Européenne des Droits de l’Homme décide le contraire, voir le cas emblématique Beyeler contre Italie, les arrêts du 5 janvier 2000 (au principal) et 28 mai 2002 (satisfaction équitable), nº 33202/96.

[20] EDELMAN, op. cit., p. 513 ; RAMIER, op. cit., p. 341.

[21] Ibid.

[22] Ibid. Le système prévu par la loi du 31 décembre 1992 visait à empêcher que l’Etat puisse refuser l’autorisation d’exportation d’une même œuvre pour une durée indéterminée sans procéder à son achat ou à son classement, en privant le propriétaire d’une indemnisation. Loi du 31 décembre 1992 relative aux produits soumis à certaines restrictions de circulation et à la complémentarité entre les services de police, de gendarmerie et de douane. Les dispositions de cette loi relative aux biens culturels ont été abrogées par l’Ordonnance 2004-178 (Code du patrimoine). Pour les modalités sur le refus du certificat d’exportation en vigueur en France, voir les articles L. 111-4, L.111-5 et L. 111-6 du Code du patrimoine.

[23] EDELMAN, op. cit., p. 513.

[24] POLI, op. cit., p. 305.

[25] RAMIER, op. cit., p. 341.

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