- Keywords
- Ownership/propriété, Unconstrained initiative/initiative spontanée, Human remains/restes humains, New Caledonia/Nouvelle-Calédonie, France, Unconditional restitution/restitution sans condition, Colonialism/colonialisme, Settlement agreement/accord transactionnel, Ad hoc facilitator/facilitateur ad hoc
Crâne d’Ataï – France et Nouvelle-Calédonie
TELECHARGER LE PFD – AFFAIRE EN FRANCAIS
Citation: Anaïs Bayrou, Justine Ferland, Morgane Desboeufs, Marc-André Renold, “Affaire Crâne d'Ataï – France et Nouvelle-Calédonie”, Platform ArThemis (http://unige.ch/art-adr), Centre du droit de l'art, Université de Genève.
En 1878, le grand chef Ataï fût tué lors de la rébellion de son clan contre l’accaparement des terres par les colonisateurs français. Devenu le symbole de la lutte contre le colonialisme français en Nouvelle-Calédonie, sa tête a été mise à prix avant de devenir propriété de la Société d’Anthropologie de Paris (SAP). Dès les accords de Matignon en 1988, la France a promis le retour du crâne d’Ataï. Toutefois, ce n’est qu’en 2014, après des demandes réitérées, que le crâne fut finalement restitué à ses descendants grâce au vote d’une motion au sein de la SAP. La cérémonie de retour du crâne d’Ataï, encadrée par le Museum National d’Histoire Naturelle, a eu lieu au sein de ses locaux le 28 août 2014.
I. Historique de l’affaire
Colonialisme
- Le 24 septembre 1853, a lieu la proclamation de la colonisation de la Nouvelle-Calédonie par la France.
- En 1878, Ataï, chef de guerre de son clan, mène une rébellion contre l’accaparement des terres par les colons français. L’armée française intervient avec l’aide de clans rivaux se situant sur l’ouest de l’île. Un membre du clan adverse provoque la mort d’Ataï et le décapite[1]. Sa tête est vendue 200 francs français[2] au Dr Navarre (médecin de marine) qui conserve les restes humains « dans des boites de fer blanc remplies d’alcool phénique »[3].
- Le 9 octobre 1879, le Dr Navarre fait parvenir la tête au Dr Broca, fondateur de la Société d’Anthropologie de Paris (SAP) qui fait effectuer un moulage de la tête afin de procéder à l’extraction du cerveau et au décharnement de la tête. Il fait aussi graver le crâne à même l’os[4]. Au décès du Dr Broca, le crâne entre dans les collections de la SAP et est conservé à la chapelle des Cordeliers de la Faculté de Médecine de Paris.
- En 1951, les collections de la SAP sont physiquement transférées au Musée de l’Homme, institution du Museum National d’Histoire Naturelle (MNHN), par le biais d’un contrat de dépôt[5].
- En 1988, lors de la négociation des accords de Matignon entre la Nouvelle-Calédonie et la France, cette dernière promet à la Nouvelle-Calédonie la restitution du crâne d’Ataï. Michel Rocard, premier ministre sous François Mitterrand, fait rechercher le crâne en vain[6].
- En 1998, l’accord de Nouméa entre la Nouvelle-Calédonie et la France stipule à l’art 1.3.2 que « l’Etat favorisera le retour en Nouvelle-Calédonie d’objets culturels kanaks qui se trouvent dans les musées en France métropolitaine ou dans d’autres pays »[7].
- Le 7 novembre 2003, le Sénat coutumier de Nouvelle-Calédonie rappelle la demande de recherche et de rapatriement du crâne d’Ataï[8].
- En 2011, l’écrivain Didier Daeninckx s’intéresse à la problématique du crâne d’Ataï. Il rencontre un anthropologue du Musée de l’Homme qui l’informe que celui-ci se trouve dans une armoire du musée. L’écrivain contacte les médias[9].
- Le 22 janvier 2012, la SAP prend connaissance de la demande de restitution adressée par le Grand Chef Bergé Kawa[10].
- Le 29 janvier 2014 une motion pour autoriser la restitution est présentée à l’assemblée générale de la SAP et est acceptée à l’unanimité.
- Le 28 août 2014, la cérémonie de retour des restes humains du chef Ataï a lieu au MNHN.
II. Processus de résolution
Accords transactionnels – Facilitateur ad hoc (Museum National d’Histoire Naturelle) – Initiative spontanée
- Par le biais d’accords transactionnels, des promesses de retour sont formulées.
- D’abord, avec la signature des accords de Matignon en 1988, le retour de la tête d’Ataï est demandé sans opposition de la part du gouvernement français.
- De plus, à l’art 1.3.2 de l’accord sur la Nouvelle-Calédonie signé à Nouméa le 5 mai 1998, le gouvernement français promet le « retour d’objets culturels kanaks » se trouvant dans les musées en France métropolitaine ou autre[11].
- Depuis 1951, la tête osseuse est inventoriée dans les collections de la SAP, mais cette dernière prend seulement connaissance de la demande de restitution en 2012[12].
- Le conseil d’administration de la SAP se met d’accord à l’unanimité pour le retour des restes humains sur la base des accords de Matignon[13]. Une commission d’experts est alors créée en 2013 afin de discuter de la situation avec les membres du conseil d’administration[14].
- Une motion est présentée le 29 janvier 2014 à l’assemblée générale de la SAP et est acceptée à l’unanimité[15].
- Compte tenu du contexte sensible de la mort d’Ataï et des problématiques politiques que sa restitution pourrait générer en Nouvelle-Calédonie, le MNHN (lieu où les collections de la SAP sont entreposées)[16] organise le retour du crâne et assure le rendu en jouant un rôle de facilitateur ad-hoc et de « tiers de confiance »[17] (voir sections III et IV ci-dessous).
- La cérémonie de retour du crâne a lieu dans le grand amphithéâtre du MNHN avec la présence de la ministre des Outre-Mer, le Sénat coutumier, le descendant d’Ataï et le grand chef du district de La Foa[18].
III. Problèmes en droit
Propriété
- Le crâne d’Ataï, propriété de la SAP, est conservé au MNHN, plus précisément au département du Musée de l’Homme, suite à un contrat de dépôt signé en 1951[19].
- La question de l’inaliénabilité des collections publiques[20] ne se pose pas ici puisque le crâne ne fait pas partie des collections du Musée de l’Homme mais de la SAP, association et personne morale sujette au droit privé.
- Toutefois, afin de ne pas créer un précédent juridique où une personne morale relevant du droit privé dispose de restes humains comme elle le souhaite, la SAP recherche une solution qui lui permet d’encadrer la restitution.
- La question d’un don au Musée de l’Homme s’est posée. Dans cette hypothèse, une loi autorisant la sortie du crâne aurait été nécessaire pour sa restitution, comme cela a déjà été fait auparavant pour la restitution de la tête maorie conservée au Musée d’Histoire Naturelle de la ville de Rouen[21]. Les membres du conseil d’administration de la SAP, cependant, ne souhaitent pas reléguer la tâche de la gestion de la restitution à la direction des collections du MNHN[22].
- A la suite de concertations du conseil d’administration de la SAP avec la direction des collections et le service juridique du MNHN, ainsi que des experts extérieurs, le conseil d’administration vote une motion à l’unanimité en 2014. Cette motion est présentée le lendemain à l’assemblée générale de la SAP qui l’accepte également à l’unanimité[23].
- Par le biais de cette motion, le conseil d’administration de la SAP renonce à la propriété du crâne qui devient alors une « chose sans maître »[24].
- Le MNHN joue un rôle de facilitateur ad-hoc lors du processus final de restitution puisqu’il est convenu, compte tenu de la relation entre le MNHN et la SAP, que le MNHN, gardien de la « chose sans maître », assure par la suite le retour du crâne d’Ataï.
IV. Résolution du litige
Initiative spontanée – Restitution sans condition
- Une motion est adoptée afin de permettre la restitution sans condition de la tête osseuse d’Ataï.
- Avec le Service des Musées de France, le MNHN assure le rôle de contrôle et d’accompagnement dans la restitution du crâne afin qu’elle soit « éthiquement correcte » ; il se positionne alors comme « tiers de confiance »[25].
- Une seconde motion est aussi adoptée à la suite de la première afin de prendre en compte l’ensemble des collections anthropologiques de la SAP en dépôt au MNHN. Cette seconde motion ouvre la porte à la restitution d’autres restes humains dûment identifiés se trouvant dans la collection de la SAP, qui peuvent aussi faire l’objet d’une motion soumise à un vote.
- Grâce à cette seconde motion, une deuxième tête – celle du médecin du clan kanak, coupée le même jour que celle d’Ataï et l’ayant accompagné tout au long de son voyage – est également remise au clan kanak lors de la cérémonie.
- Quant aux restes humains non identifiables, ils rejoignent les collections du MNHN sous forme de don auquel le principe d’inaliénabilité s’appliquera.
V. Commentaire
- L’adoption de cette motion a permis à la SAP de restituer le crâne d’Ataï de la manière la plus encadrée possible, au vu des circonstances de la mort du chef Ataï. Cet acteur privé a opté pour une solution plus complexe que le don, afin que tous ses membres participent à la prise de décision et que le retour soit soutenu par un facilitateur ad hoc plus à même de comprendre les enjeux.
- Il a été prévu d’instaurer un mausolée pour accueillir les restes humains. Cependant, la terre du chef Ataï ayant été attribuée à un colon à l’époque des faits, le monument funéraire et la restitution de ces terres posent problème et ouvrent de nouveau les cicatrices du colonialisme[26].
- La légitimité de Bergé Kawa qui s’est déclaré descendant direct d’Ataï a également été contestée par certains clans, ce qui a ajouté une problématique à la restitution[27].
- Lors de la restitution de restes humains, on peut se poser la question de la fonction pédagogique des musées d’anthropologie tels que le Musée de l’Homme, qui ne s’est pas opposé à la restitution par la SAP du crâne d’Ataï mais qui soutient que la réunion de restes humains d’origines diverses permet à la science de mieux comparer et étudier ceux-ci. Comment concilier le besoin scientifique des musées ethnographiques de garder des restes humains pour les étudier et celui des descendants de récupérer les restes de leurs ancêtres ? C’est la question qui peut aussi être soulevée dans le cadre de la restitution des restes humains de Sarah Baartman[28].
- Le flou sur la perte ou non du crâne entre 1988 et 2011 soulève des questions quant à la communication entre les autorités gouvernementales et les musées et quant à l’accès des autorités, françaises en l’occurrence, à l’inventaire des collections muséales. En effet, même si la SAP relève du droit privé, sa collection était gérée par le Musée de l’Homme, qui est une institution publique et qui aurait pu signaler la présence du crâne.
VI. Sources
a. Législation
- Accord sur la Nouvelle-Calédonie signé à Nouméa le 5 mai 1998, JORF n°121 du 27 mai 1998 page 8039. Disponible en ligne, consulté le 16 octobre 2019: https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000555817&categorieLien=id
b. Documents
- Caroline Renold, Alessandro Chechi, Marc-André Renold, “Case Sarah Baartman – France and South Africa,” Platform ArThemis (http://unige.ch/art-adr), Art-Law Centre, University of Geneva. Consulté le 16 octobre 2019 https://plone.unige.ch/art-adr/cases-affaires/sarah-baartman-2013-france-and-south-africa.
- Comité pour la Mémoire de l’Histoire et de l’Esclavage, “Rapport de la mission sur la mémoire des expositions ethnographiques et coloniales”, Novembre 2011, p.133.Disponible en ligne, consulté le 16 octobre 2019: http://www.nouvelle-caledonie.gouv.fr/content/download/1568/12836/file/CPMHE.
- Etude de législation comparée n°191 – décembre 2008 – L’aliénation des collections publiques, Service des étuds juridiques. Disponible en ligne, consulté le 16 octobre 2019: https://www.senat.fr/lc/lc191/lc1910.html.
- F. Marchal, A. Nivart, A. Fort, Y. Ardagna, D. Grimaud-Hervé, « La restitution des têtes osseuses d’Ataï et de son compagnon », Société d’anthropologie de Paris et Lavoisier SAS 2016. Disponible en ligne, consulté le 16 octobre 2019 : https://link.springer.com/content/pdf/10.1007%2Fs13219-016-0142-4.pdf.
- Raphael Contel, Anne Laure Bandle, Marc-André Renold, « Affaire Tête Maori de Rouen – France et Nouvelle-Zélande », Plateforme ArThemis (http://unige.ch/art-adr), Centre du droit de l’art, Université de Genève. Consulté le 16 octobre 2019 https://plone.unige.ch/art-adr/cases-affaires/tete-maorie-de-rouen-2013-france-et-nouvelle-zelande.
c. Médias
- Frédéric Joignot, « Ataï, plus d’un siècle d’exil », Le Monde, 28 décembre 2011, consulté le 16 octobre 2019, https://www.lemonde.fr/culture/article/2011/12/28/atai-plus-d-un-siecle-d-exil_1622125_3246.html.
- Angela Bolis, « Après 136 ans, le crâne de l’insurgé kanak Ataï rendu aux siens », Le Monde, 29 août 2014, consulté le 16 octobre 2019, https://www.lemonde.fr/societe/article/2014/08/29/le-crane-de-l-insurge-atai-retourne-aux-mains-de-ses-descendants-kanaks_4478873_3224.html.
[1] Angela Bolis, « Après 136 ans, le crâne de l’insurgé kanak Ataï rendu aux siens », Le Monde, 29 août 2014, consulté le 16 octobre 2019, https://www.lemonde.fr/societe/article/2014/08/29/le-crane-de-l-insurge-atai-retourne-aux-mains-de-ses-descendants-kanaks_4478873_3224.html.
[2] Frédéric Joignot, « Ataï, plus d’un siècle d’exil », Le Monde, 28 décembre 2011, consulté le 16 octobre 2019, https://www.lemonde.fr/culture/article/2011/12/28/atai-plus-d-un-siecle-d-exil_1622125_3246.html.
[3] F. Marchal, A. Nivart, A. Fort, Y. Ardagna, D. Grimaud-Hervé, « La restitution des têtes osseuses d’Ataï et de son compagnon », Société d’anthropologie de Paris et Lavoisier SAS 2016. Disponible en ligne, consulté le 16 octobre 2019 : https://link.springer.com/content/pdf/10.1007%2Fs13219-016-0142-4.pdf.
[4] Frédéric Joignot, « Ataï, plus d’un siècle d’exil », Le Monde.
[5] F. Marchal, A. Nivart, A. Fort, Y. Ardagna, D. Grimaud-Hervé, « La restitution des têtes osseuses d’Ataï et de son compagnon ».
[6] Ibid
[7] Comité pour la Mémoire de l’Histoire et de l’Esclavage, “Rapport de la mission sur la mémoire des expositions ethnographiques et coloniales”, Novembre 2011, p.133.Disponible en ligne, consulté le 16 octobre 2019: http://www.nouvelle-caledonie.gouv.fr/content/download/1568/12836/file/CPMHE.
[8] Ibid.
[9]Frédéric Joignot, « Ataï, plus d’un siècle d’exil », Le Monde.
[10] F. Marchal, A. Nivart, A. Fort, Y. Ardagna, D. Grimaud-Hervé, « La restitution des têtes osseuses d’Ataï et de son compagnon ».
[11]Accord sur la Nouvelle-Calédonie signé à Nouméa le 5 mai 1998, JORF n°121 du 27 mai 1998 page 8039. Disponible en ligne, consulté le 16 octobre 2019: https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000555817&categorieLien=id.
[12] F. Marchal, A. Nivart, A. Fort, Y. Ardagna, D. Grimaud-Hervé, « La restitution des têtes osseuses d’Ataï et de son compagnon ».
[13] Ibid.
[14] Ibid.
[15] Ibid.
[16] Ibid
[17] Ibid.
[18] B. Lassauce, A-C Lambard, J. Van Hove, E. Beaugé, « Le crâne d’Ataï, chef rebelle kanak, officiellement restituté à sa famille », Franceinfo, 28 août 2014, consulté le 16 octobre 2019 https://www.francetvinfo.fr/culture/patrimoine/le-crane-d-atai-chef-rebelle-kanak-officiellement-restitue-a-sa-famille_3394147.html.
[19] F. Marchal, A. Nivart, A. Fort, Y. Ardagna, D. Grimaud-Hervé, « La restitution des têtes osseuses d’Ataï et de son compagnon ».
[20] Etude de législation comparée n°191 – décembre 2008 – L’aliénation des collections publiques, Service des étuds juridiques. Disponible en ligne, consulté le 16 octobre 2019: https://www.senat.fr/lc/lc191/lc1910.html.
[21] Raphael Contel, Anne Laure Bandle, Marc-André Renold, « Affaire Tête Maori de Rouen – France et Nouvelle-Zélande », Plateforme ArThemis (http://unige.ch/art-adr), Centre du droit de l’art, Université de Genève. Consulté le 16 octobre 2019 https://plone.unige.ch/art-adr/cases-affaires/tete-maorie-de-rouen-2013-france-et-nouvelle-zelande.
[22] F. Marchal, A. Nivart, A. Fort, Y. Ardagna, D. Grimaud-Hervé, « La restitution des têtes osseuses d’Ataï et de son compagnon ».
[23] Ibid.
[24] Ibid.
[25] Ibid.
[26] Léia Santacroce, “Cérémonie de restitution du crâne du chef Ataï: entre memoire et politique”, Franceinfo, 28 août 2014, consulté le 16 octobre 2019, https://la1ere.francetvinfo.fr/2014/08/28/ceremonie-de-restitution-du-crane-d-atai-entre-memoire-et-politique-181432.html.
[27] Ibid.
[28] Caroline Renold, Alessandro Chechi, Marc-André Renold, “Case Sarah Baartman – France and South Africa,” Platform ArThemis (http://unige.ch/art-adr), Art-Law Centre, University of Geneva. Consulté le 16 octobre 2019 https://plone.unige.ch/art-adr/cases-affaires/sarah-baartman-2013-france-and-south-africa.
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