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Collection japonaise de Netsuke – Winkworth c. Christie’s
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Citation : Laetitia Nicolazzi, Alessandro Chechi, Marc-André Renold, « Affaire Collection japonaise de Netsuke – Winkworth c. Christie’s », Plateforme ArThemis (http://unige.ch/art-adr), Centre du droit de l’art, Université de Genève.
Une collection de Netsuke est dérobée en Angleterre, vendue à un collectionneur de bonne foi en Italie et finalement proposée aux enchères en Angleterre. William Winkworth, le propriétaire originaire, reconnaît les objets sur le catalogue de la maison de vente aux enchères Christie’s et agit en justice à Londres afin de voir reconnaître sa propriété sur les biens. Malgré les arguments du demandeur, le juge saisi considère que la loi italienne est applicable et donc reconnaît valable le titre de propriété du collectionneur italien.
I. Historique de l'affaire
Demandes de restitution post 1970
- 1970s : des œuvres d’art japonaises (Netsuke)[1] sont dérobées à un collectionneur, William Winkworth, dans sa maison en Angleterre. Les objets sont importés en Italie, où ils sont vendus à un collectionneur de bonne foi, D’Annone. D’Annone confie les œuvres à la maison de vente aux enchères Christie’s, Manson & Woods Ltd. (Christie’s) à Londres.
- 22 juillet 1977 : William Winkworth reconnaît les œuvres qui lui ont été dérobées dans le catalogue de vente et agit en justice en Angleterre contre la maison de vente ainsi que contre le vendeur.
- 1980 : Le juge Slade saisi de l’affaire désigne la loi italienne comme applicable. Or, au regard du droit italien, D’Annone a obtenu un titre de propriété opposable à Winkworth. Le demandeur n’obtiendra donc pas la restitution de ses biens.[2]
II. Processus de résolution
Action en justice – décision judiciaire
- Winkworth met initialement en cause la maison de vente aux enchères ainsi que D’Annone.
- A l’encontre de Christie’s, Winkworth demandait une injonction interdisant à la maison de vente aux enchères de vendre les biens restant et de reverser l’argent de la vente au vendeur. Toutefois, comme l’indique le juge Slade,[3] Winkworth s’est, en cours de procédure, désisté de son action contre Christie’s qui a accepté de se plier à ses demandes.
- A l’encontre de D’Annone, Winkworth demande à la Cour une injonction lui interdisant de recevoir le prix de la vente, une déclaration certifiant qu’il est le propriétaire des œuvres d’art japonaises, et finalement la restitution de ses biens ou de leur valeur monétaire.
- On peut présumer que Winkworth et D’Annone n’ont pas réussi à trouver un arrangement concernant la propriété des biens et que c’est pour cette raison que Winkworth a décidé d’agir en justice. L’arrêt, toutefois, ne mentionne aucune tentative de négociation.
III. Problèmes en droit
Infraction pénale – Propriété – Droit applicable
- La présente affaire a été déclenchée par le vol de la collection d’art japonais appartenant à Winkworth, acte considéré comme une infraction pénale tant au sens du droit anglais (section 8(1) Theft Act 1968) que du droit italien (article 624 Italian Criminal Code).
- Le juge Slade, saisi de l’affaire, doit déterminer si la vente qui s’est tenue en Italie a permis de conférer à D’Annone la pleine propriété sur les œuvres qui soit opposable à Winkworth, leur propriétaire originaire.
- Afin de statuer sur la propriété, il lui faut au préalable résoudre la question de la loi applicable, car selon que ce soit la loi italienne ou la loi anglaise qui s’applique, l’issue du litige ne sera pas la même. En effet (i) le droit anglais, fidèle au principe nemo dot quad non habet (nul ne peut transférer plus de droits qu’il n’en possède), considère que la vente d’un objet volé ne peut pas permettre à l’acquéreur d’en obtenir la propriété, puisque par hypothèse le vendeur ne dispose pas lui-même de ce droit. Dès lors, si le droit anglais est applicable en l’espèce, le juge devra considérer que Winkworth est resté le propriétaire des œuvres japonaises; (ii) en revanche, les articles 1153 et 1154 du Code Civil italien prévoient que l’acquéreur d’un bien en devient immédiatement le propriétaire s’il est de bonne foi et s’il possède un « titre approprié »[4] cela même en présence d’un bien volé.
- En conséquence, si le droit italien est applicable en l’espèce, comme le revendique D’Annone, ce dernier dispose d’un titre de propriété sur les œuvres d’art qu’il peut opposer à celui de Winkworth.
- Selon la règle de conflit de lois retenue traditionnellement par les tribunaux en matière de biens meubles, il faut appliquer la loi de situation de ces biens (lex rei sitae) pour régler leur statut réel. Puisque ce sont des biens amovibles, le situs peut varier et il faudra dès lors appliquer la loi de l’Etat dans lequel se situaient les biens au moment où se sont produits les faits qui ont conduit à l’acquisition du droit de propriété dont ils font l’objet. En l’espèce, il faudrait donc appliquer la loi du lieu de la vente, c’est-à-dire la loi italienne.[5]
- Cependant, Winkworth, tout en reconnaissant cette règle traditionnelle de conflit de loi, soutient qu’en l’espèce il faudrait faire exception à la lex rei sitae et appliquer la loi anglaise en raison des nombreuses connections que le litige entretient avec l’Angleterre (les œuvres ont été volées en Angleterre et leur propriétaire n’a pas donné son consentement à leur exportation, puis, après avoir été exportées en Italie, elles ont été proposées à la vente en Angleterre et finalement c’est une Cour anglaise qui est saisie de l’affaire).
IV. Résolution du litige
Rejet de la demande
- Le juge admet la bonne foi de D’Annone (« The defendant […] was unaware that [the goods] were stolen »)[6] mais sans toutefois donner les raisons de son appréciation. Cela s’explique par le fait que l’appréciation de la bonne foi incombe aux juges du fond et relève de leur appréciation souveraine (l’affaire est ici jugée par la Court of Chancery qui est une instance supérieure).
- Le juge se prononce pour l’application de la loi italienne au litige.[7] Par conséquent, il admet que D’Annone a acquis un titre de propriété valable et opposable à Winkworth, qui donc ne peut pas obtenir la restitution des objets volés. Toutefois, il prend soin de préciser qu’il a statué sans connaître le contenu de la loi italienne et n’exclut pas que celle-ci puisse renvoyer à la loi anglaise. Sa décision ne prive donc pas les parties de la possibilité d’arguer d’un tel renvoi.
- Le juge accepte de rentrer dans le débat et admet qu’un propriétaire qui n’a rien à se reprocher et qui voit son bien dérobé mérite une certaine protection. Toutefois, il prend en considération les autres intérêts en présence et considère que la sécurité des transactions commerciales doit l’emporter. L’acheteur comme le propriétaire original – lorsqu’il agit de bonne foi – doit pouvoir se fier au titre de propriété obtenu.[8] Le juge indique alors que les intérêts commerciaux exigent que la loi applicable aux biens mobiles soit déterminée par la règle de la lex rei sitae.[9] Aussi, il se refuse à faire exception à la règle de conflit de lois traditionnelle au motif que cela conduirait à abolir toute sécurité juridique : « Intolerable uncertainty in the law would result if the court were to permit the introduction of a wholly fictional English situs, when applying the principle to any particular case, merely because the case happened to have a number of other English connecting factors ».[10]
V. Commentaire
- Sur l’application stricte de la lex rei sitae en matière de vols de biens culturels :
- Le raisonnement mené par le juge dans le cas Winkworth est à rapprocher de celui mené par le juge dans l’affaire Elicofon.[11] Cette affaire concerne deux portraits de Dürer volés en Allemagne puis revendus à New-York. Afin de déterminer si l’acheteur disposait d’un titre de propriété opposable au propriétaire originaire, il fallait désigner la loi applicable au litige. La lex rei sitae était en l’espèce la loi new-yorkaise. Le juge s’est toutefois demandé si le fait que les tableaux aient été volés en Allemagne ne pouvait pas conduire à faire exception à cette règle de conflit et à appliquer le droit allemand. Comme dans le cas Winkworth, il conclut négativement au profit de la sécurité des transactions commerciales.
- Par conséquent, le juge applique le droit new-yorkais et considère qu’Elicofon n’a pas acquis un titre de propriété sur les tableaux opposable au propriétaire originaire. L’application de la lex rei sitae conduit ici à une solution inverse à celle de l’affaire Winkworth, mais le raisonnement mené par les juges est le même : à la question « peut-on déroger à l’application stricte de la lex rei sitae en présence de certains critères, notamment l’existence d’un vol ? », ils ont tous deux répondus négativement.
- L’application stricte de la règle de conflit de loi lex rei sitae aux biens meubles traditionnels peut se justifier par des raisons de simplicité – il est conceptuellement plus facile d’appliquer la loi de l’Etat sur le territoire duquel l’objet se trouve – ainsi que par des raisons de sécurité des transactions commerciales. Cependant, en matière de vol de biens culturels, cette règle, qui s’applique de « façon absolue » et « sans égard à la situation à laquelle son application conduit »,[12] peut conduire non seulement à fragiliser la position du propriétaire originaire, comme c’est le cas dans le présente affaire, mais surtout à encourager le marché noir et ce surtout dans les pays dont les législations permettent à l’acquéreur de bonne foi d’un bien meuble volé d’obtenir sur ce bien un titre de propriété valable.[13]
- Selon la doctrine, il serait possible de remédier à ce problème de deux manières : (i) en établissant des règles matérielles uniformes ; et (ii) en conservant la lex rei sitae comme règle de principe, tout en admettant l’application d’un « point de rattachement alternatif lorsqu’un certain nombre d’autres critères sont réunis, de façon à ce que soit applicable la loi de l’Etat qui a le lien le plus étroit par rapport à la situation de l’espèce, ce qui permettrait d’introduire un point de rattachement fondé sur un ‘caractère substantiel’».[14] La décision commentée, tout comme la décision rendue dans l’affaire Elicofon, semblent toutefois constituer de sérieux obstacles à cette seconde solution.
- Sur l’application de la théorie du renvoi en matière de biens meubles :
- Avant la décision Winkworth, les tribunaux anglais n’avaient jamais appliqué la doctrine du renvoi à des biens meubles. Il s’agit d’un mécanisme de droit international privé qui consiste à prendre en considération le fait que la législation de l’Etat désignée par la règle de conflit de loi renvoie elle-même à une autre loi (la loi du for ou une loi tierce) et donc à appliquer cette loi. Pour la première fois, le juge affirme que l’application du renvoi en cette matière serait « théoriquement possible », ce qui le conduit à émettre des réserves quant à l’issue du litige. Le raisonnement est le suivant : (i) la règle de conflit de loi anglaise (la lex rei sitae) en matière de biens corporels désigne la loi italienne ; (ii) la règle italienne de conflit de loi renvoie-t-elle à la loi du for ou désigne-t-elle une loi tierce ? Dans le premier cas, Winkworth ne pourra pas obtenir restitution de ses biens, D’Annone ayant acquis un titre de propriété valable. Dans le second cas, la question de la propriété des œuvres d’art en question sera soumise à la loi tierce.
- Cependant, une décision plus récente est venue clarifier les choses. L’affaire Berend[15] concerne des bas reliefs achéménides du cinquième siècle avant J.C. achetés par Madame Bérend à New York en 1947. Les sculptures ont ensuite été importées en France puis mises en vente à Londres en 2005. L’Iran en demanda alors la restitution. La lex rei sitae désignait la France, mais l’Iran arguait qu’en vertu de la doctrine du renvoi, il ne fallait pas appliquer la loi française mais plutôt la règle de conflit de loi française qui renvoie à la loi du pays d’origine (l’Iran). Le juge rejeta cette argumentation au motif que la règle du renvoi n’est pas applicable en cas de conflit mobile[16] (« English law has held for many years, in order partly to achieve consistency and certainty, that where movable property is concerned title should be determined by the lex situs of the property at the time when the disputed title is said to have been acquired. Millett J. saw no room for the doctrine of renvoi, in the share context, and I see no room either as a matter of policy for its introduction in the context of a tangible object such as that in contention here. […] I hold that, as a matter of English law, there is no good reason to introduce the doctrine of renvoi and that title to the fragment should thus be determined in accordance with French domestic law »).[17] Le juge a donc appliqué la loi française et rejeté la demande de l’Iran, excluant toute application future par les tribunaux anglais de la notion de renvoi en matière de détermination du droit de propriété sur un bien meuble.[18]
- Le mécanisme du renvoi pourrait se révéler intéressant – dans une optique de lutte contre le trafic des biens culturels – si la majorité des législations adoptaient comme règle de conflit de loi la lex originis car cela permettrait d’endiguer le trafic et de prendre en considération le cas échéant les lois protectrices nationales des biens culturels. Toutefois, cette hypothèse ne reflète pas la vérité et dans ces conditions, il vaut mieux diminuer au maximum les éventuelles applications du mécanisme de renvoi, de peur que celui-ci conduise à appliquer une règle trop favorable à l’acquéreur de bonne foi et favorise ainsi le trafic de biens culturels.
VI. Sources
a. Doctrine
- Burk Karen Theresa, International Transfers of Stolen Cultural Property: Should Thieves Continue to Benefit from Domestic Laws Favoring Bona Fide Purchasers, in Loyola of Los Angeles International and Comparative Law Review, 1 décembre 1990, p. 427ss.
- Fincham Derek, How Adopting the Lex Originis Rule Can Impede the Flow of Illicit Cultural Property, in Columbia Journal of Law and the Arts, Vol. 32, 2008, p. 111 ss.
- Reichelt Gerte, Etude LXX- doc. 1, demandée à Unidroit par l’UNESCO sur la protection des biens culturels, Rome, décembre 1986. http://www.unidroit.org/french/documents/1986/etude70/s-70-01-f.pdf.
- Cornu Marie, Fromageau Jérôme, Wallaert (Dir.), Dictionnaire comparé du droit du patrimoine culturel, Paris, CNRS, 2012.
b. Décisions judicaires
- Winkworth v. Christie's, Manson & Woods Ltd. and another, [1980] 1 All ER 1121.
- Kunstsammlungen zu Weimar v. Elicofon, 678 F. 2d 1150 (2nd Cir. 1982).
- Islamic Republic of Iran v. Berend, [2007] EWHC 132 (QB) 1 Bus. L.R. D65.
[1] Les Netsuke sont des sculptures en miniature inventées au Japon au XVIIe siècle. Au début, ils avaient une fonction utilitaire, puis ils devinrent des objets de grand valeur artistique et une expression du folklore et de la vie japonaise.
[2] Winkworth v. Christie's, Manson & Woods Ltd. and another, [1980] 1 All ER 1121.
[3] Winkworth v. Christie's, Manson & Woods Ltd. and another, [1980] 1 All ER 1123, §j.
[4] Cette expression peut renvoyer à « tout acte juridique, même unilatéral, abstraitement apte à produire l’effet du transfert de la propriété […] ; il s’agit donc de l’acte juridique qui aurait obtenu ledit effet s’il avait été accompli par le propriétaire ». Dictionnaire comparé du droit du patrimoine culturel, 2012, p. 290.
[5] Winkworth v. Christie's, Manson & Woods Ltd. and another, [1980] 1 All ER 1121, §e et 1125 §c.
[6] Winkworth v. Christie's, Manson & Woods Ltd. and another, [1980] 1 All ER 1131, §c et 1135, §a-b.
[7] Si la loi italienne est appliquée (il faut prendre en compte l’hypothétique renvoi mentionné par le juge), les biens dérobés à Winkworth ne lui seront pas restitués, D’Annone ayant un acquis un titre de propriété valable et opposable au propriétaire originaire.
[8] Winkworth v. Christie's, Manson & Woods Ltd. and another, [1980] 1 All ER 1134, § h.
[9] Winkworth v. Christie's, Manson & Woods Ltd. and another, [1980] 1 All ER 1135, § b-c.
[10] Winkworth v. Christie's, Manson & Woods Ltd. and another, [1980] 1 All ER 1132, §f.
[11] Kunstsammlungen zu Weimar v. Elicofon, 678 F. 2d 1150 (2nd Cir. 1982). Cf. Alessandro Chechi, Anne Laure Bandle, Marc-André Renold, “Case Two Dürer Paintings – Kunstsammlungen Zu Weimar v. Elicofon,” Platform ArThemis (http://unige.ch/art-adr), Art-Law Centre, University of Geneva.
[12] Reichelt Gerte, Etude LXX- doc. 1, demandée à Unidroit par l’UNESCO sur la protection des biens culturels, Rome, décembre 1986, p. 18.
[13] A titre d’exemple, cf. l’affaire Autocephalous Greek-Orthodox Church of Cyprus and Cyprus v. Goldberg & Feldman Fine Arts and Goldberg, United States District Court, Indianapolis Division, No. IP 89-304-C, 3 August 1989, et le commentaire par Burk Karen Theresa, International Transfers of Stolen Cultural Property: Should Thieves Continue to Benefit from Domestic Laws Favoring Bona Fide Purchasers, in Loyola of Los Angeles International and Comparative Law Review (1990): 427.
[14] Reichelt Gerte, Etude LXX, op. cit., p. 19.
[15] Islamic Republic of Iran v. Berend [2007] EWHC 132 (QB), Bus. L.R. D65. Cf. Anne Laure Bandle, Alessandro Chechi, Marc-André Renold, “Case Achaemenid Limestone Relief – Islamic Republic of Iran v. Berend,” Platform ArThemis (http://unige.ch/art-adr), Art-Law Centre, University of Geneva.
[16] Les tribunaux français retiennent la même solution.
[17] Islamic Republic of Iran v. Berend, §d et D68, §f.
[18] Fincham Derek, How Adopting the Lex Originis Rule Can Impede the Flow of Illicit Cultural Property, in Columbia Journal of Law and the Arts, Vol. 32, 2008, pp. 143-144.
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