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Bélier Malien – France, Jacques Chirac et Mali

En novembre 1996, le Président de la République Française Jacques Chirac reçoit en cadeau un quadrupède en terre cuite aux formes massives et stylisées. L’objet, qui provenait d’un site pillé au Mali, sera restitué sous forme de don après négociations en janvier 1998.

 

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Citation: Seth Médiateur Tuyisabe, Justine Ferland, Marc-André Renold, « Affaire Bélier malien – France, Jacques Chirac et Mali », Plateforme ArThemis (http://unige.ch/art-adr), Centre du droit de l’art, Université de Genève.

En novembre 1996, le Président de la République Française Jacques Chirac reçoit en cadeau un quadrupède en terre cuite aux formes massives et stylisées. L’objet, qui provenait d’un site pillé au Mali, sera restitué sous forme de don après négociations en janvier 1998.

 

I. Historique de l’affaire

Demandes de restitution post 1970

  • 1991 : Pillage sur le site de Thial dans la région Tenenkou au Mali au cours duquel une personne décède. La police intervient et ouvre une enquête. Dans ce cadre, des objets du pillage sont saisis et pris en photo. Parmi ceux-ci figure une série de quatre béliers en terre cuite. Ultérieurement, cependant, ces objets disparaissent. L’affaire est signalée dans les communications d’Interpol.
  • Septembre 1994 : L’ICOM édite un catalogue intitulé « Cent objets disparus : pillage en Afrique » dans lequel sont reproduits les quatre béliers en terre cuite.[1]
  • Novembre 1996 : Le Président de la République Française Jacques Chirac reçoit, de son épouse et ses collaborateurs, pour cadeau d’anniversaire, un bélier en terre cuite. L’objet est d’origine malienne, datant de l’époque du royaume de Djenné (VIIe-XVe siècle). La chose fait l’objet d’un reportage photo dans le journal « Paris-Match ». Le professeur Jean Polet reconnaît la photo du bélier dans le magazine comme étant un bien issu du pillage du site de Thial. Il alerte l’Elysée sans succès puis se tourne vers l’UNESCO et les autorités maliennes.[2]
  • Janvier 1998 : Après négociations, M. Chirac restitue le bélier au musée de Bamako.[3]

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II.Processus de résolution

Voie diplomatique – Négociation – Facilitateur ad hoc (ICOM)

  • La résolution du litige s’est faite par la négociation. L’ambassade du Mali à Paris a d’abord communiqué le cas à ses autorités tutélaires.[4] Puis des démarches ministérielles ont été menées par les autorités maliennes afin de porter à la connaissance de l’Elysée que le bien en question provenait d’un site pillé et que son trafic contrevenait aux lois maliennes.[5]
  • L’ICOM a fait office de facilitateur dans le processus de résolution. En effet, l’organisation a formulé des requêtes à l’intention du gouvernement français pour la restitution de l’objet.[6]
  • Le contenu et le processus des négociations se sont faits dans la confidentialité. Le gouvernement français, souhaitant éviter tout embarras, n’a pas commenté l’affaire publiquement.[7]

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III. Problèmes en droit

Propriété – Fouille illicite – Exportation illicite

  • La question des faits n’est pas claire dans cette affaire. En effet, l’objet issu de fouilles illicites a d’abord été saisi par la police, puis a disparu. Néanmoins, dès 1991, cette disparation a fait l’objet d’annonces à Interpol. Par ailleurs, dès 1994, l’objet figure sur la liste rouge de l’ICOM et des images sont publiées dans son catalogue. Ces éléments amènent à remettre en question la licéité de l’exportation. De plus, ce dossier soulève une question relative à la validité de l’acquisition du bélier offert à Jacques Chirac. En effet, les autorités maliennes soutenaient que l’objet, étant issu d’un pillage, était propriété de l’État et que son exportation contrevenait aux lois maliennes.[8]
  • En droit malien, le Décret de 1985 relatif à la réglementation de la prospection, de la commercialisation et de l’exportation des biens culturels régit les questions relatives à l’exportation des biens culturels.[9] Premièrement, l’objet en question dans cette affaire, provenant d’un pillage, contrevient aux normes en matière de prospection (art. 7 ss.). Par ailleurs, la section III dudit décret (arts. 12 ss.) règlemente l’exportation des biens culturels. L’obtention d’une autorisation du ministère chargé de la culture est une condition à l’exportation d’un bien culturel. A l’instar de la majorité des autres règlementations étatiques en la matière, l’exportation illicite est prohibée.
  • Bien que la France n’ait pas commenté l’affaire, nous pouvons imaginer que M. Chirac aurait pu argumenter qu’il possédait un droit de propriété par acquisition de bonne foi, au même titre que les personnes qui lui ont offert cet objet avant lui. En effet, le droit français connaît un principe de libre vente et d’acquisition lorsqu’une loi particulière ne le prohibe pas (art. 1598 du Code civil). Par ailleurs, le droit français considère que l’acquéreur de bonne foi d’un bien meuble en devient immédiatement le propriétaire, même s’il s’agit d’un bien volé, en raison de la règle qu’en fait de meubles, possession vaut titre (art. 2276 du Code civil). Ainsi, l’exportation illicite au regard du droit malien se heurte à la protection conférée à l’acquéreur de bonne foi de l’objet. Celle-ci s’applique, d’abord, au bénéfice de la personne l’ayant acheté et acquis originairement, ensuite à M. Chirac ayant reçu l’objet sous forme de cadeau.
  • M. Chirac aurait aussi pu argumenter avoir acquis un titre de propriété valide par donation entre vifs au sens de l’article 711 et des articles 931 ss. du Code civil. Notons que la jurisprudence reconnait la donation non formelle, sans acte authentique, dans le cas d’un don manuel lorsque la chose est remise directement au donataire, ce qui est le cas en l’espèce.[10]
  • Il est à noter que la France n’avait pas encore ratifié la Convention de l’UNESCO concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l’importation, l’exportation et le transfert de propriété illicites des biens culturels[11] lorsque M. Chirac a acquis le bélier et n’a d’ailleurs toujours pas adopté de loi pour sa mise en œuvre aujourd’hui. Par conséquent, nous sommes d’avis que le Mali aurait difficilement pu réclamer la restitution du bélier dans le cadre d’une action judiciaire en France.

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IV. Résolution du litige

Donation – Geste symbolique

  • Après un peu plus d’un an de négociations et de tractations, le bélier est restitué sous forme de don au musée de Bamako en janvier 1998 par M. Chirac.
  • Sous l’objet exposé au musée de Bamako se trouve l’inscription « don de Jacques Chirac, Président de la République Française ».[12]

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V. Commentaire

  • L’affaire étudiée est intéressante dans la mesure où elle met en évidence des problématiques récurrentes et caractéristiques des litiges en matière de biens culturels.
  • La question de la propriété est un élément clé et épineux lors des différends en la matière. Souvent, elle est un point de fracture, difficilement conciliable entre les parties. Par ailleurs, la pratique des tribunaux des pays dits importateurs de biens culturels semble peu encline à remettre en question des principes considérés fondamentaux tels que le droit à la propriété et la protection de l’acquéreur de bonne foi. D’autre part, bien que la Convention de l’UNESCO 1970, régissant entre autre le transfert des biens culturels, soit en vigueur depuis 1973, sa ratification par les Etats dit du marché a été dans les faits tardive.[13] Pour ce qui est de sa mise en œuvre sur le plan national à travers des lois spécifiques, il semble que les démarches soient peu convaincantes et concrètes.[14]
  • La législation française en matière de protection des biens culturels est éparse, composée de différentes lois qui n’appréhendent pas directement la matière contenue dans la Convention de l’UNESCO de 1970. Par ailleurs, ces lois ont pour principale préoccupation l’exportation des biens depuis la France et l’Union Européenne et laissent ainsi subsister un vide juridique relatif aux questions des importations depuis les pays sources extra-Union Européenne. Ceci a pour conséquence de laisser peu de moyens d’actions aux Etats sources victimes du trafic illicite.
  • A contrario, des pays comme les Etats-Unis se montrent plus actifs dans le domaine en signant des accords bilatéraux avec les pays sources. Signalons en guise d’exemple l’accord avec le Mali portant sur la restriction à l’importation aux Etats-Unis du matériel archéologique d’origine malienne (1997).[15]
  • Ainsi, de par les limites inhérentes à l’application matérielle et temporelle des conventions et des lois, le règlement des litiges par voie juridictionnelle est difficile, voir impossible. De ce fait, des modes alternatifs de résolution des différends en la matière deviennent pertinents. Dans le cas présenté, l’issue de l’affaire est sans doute le résultat du cumul des démarches diplomatiques des autorités étatiques, celles d’acteurs tiers comme l’ICOM et la société civile, celle du Mali notamment, à travers une compagne médiatique intitulée « Chirac rends-nous ton mouton ».[16]
  • L’agenda politique du gouvernement français a probablement joué en faveur de la restitution du bien. En effet, l’affaire éclate peu avant la ratification par la France de la Convention de l’UNESCO de 1970.[17] Ainsi, on peut possiblement interpréter le silence et la volonté de discrétion de l’Elysée comme un choix des autorités françaises d’éviter l’embarras médiatique.
  • On peut encore critiquer le manque de transparence des processus de négociation. En effet, il est difficile pour le public de connaître le contenu et les aboutissants des négociations. Une discrétion certes appréciée des parties mais dont la conséquence est l’opacité sur des questions relevant du domaine public, les biens culturels.
  • Par ailleurs, on peut se demander s’il ne serait pas pertinent de tempérer le principe d’acquisition de bonne foi existant en droit civil dans le domaine des biens culturels. En effet, l’approche comparative des droits étrangers et la prise en compte, notamment, des lois des pays sources, aurait pour avantage d’offrir une plus grande protection de ces biens. Cela permettrait de pallier aux lacunes juridiques des pays importateurs d’une part, et à la non rétroactivité de la plupart des instruments juridiques en la matière d’autre part.
  • La Convention d’UNIDROIT sur les biens culturels volés ou illicitement exportés,[18] bien que non applicable en l’espèce, apporte une solution intéressante en la matière. Celle-ci introduit à son art. 4 al. 4 la notion de diligence requise du possesseur qui se prévaut de l’acquisition de bonne foi et demande une compensation. Dans ce contexte, il sera pris en considération le souci de l’acheteur de s’informer et consulter les registres disponibles. Autrement dit, il devra établir qu’il a fait les démarches raisonnables avant l’acquisition du bien culturel.[19] Il sera aussi tenu compte, entre autre, de la qualité de parties, du prix payé, des informations et documents que l’acheteur aurait pu raisonnablement se procurer. Ceci aurait l’avantage d’élever le niveau de diligence requis des acquéreurs en reversant le fardeau de la preuve et aurait pour conséquence de tempérer le principe et la présomption d’acquisition de bonne foi.
  • Finalement, notons le bémol des restitutions sous forme de donation. En effet, la mention « donation » apposée à l’objet dans les cas de négociations peut être vu comme méprisante pour l’Etat et l’opinion publique du pays d’origine,[20] étant perçue comme l’expression des rapports Nord-Sud encore largement fondés sur des reflexes coloniaux.[21] Quand bien même la valeur l’objet en question n’est pas élevée, c’est un enjeu davantage symbolique, le sentiment de justice et d’équité qui motive les démarches relatives au retour d’un bien culturel.

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VI. Sources

a. Doctrine

  • RENOLD Marc-André, Le droit de l’art et des biens culturels en Suisse: questions choisies, in Revue de droit suisse, 129 II (2010/1) pp. 137-220.
  • LALIVE Pierre, La Convention UNIDROIT sur les biens culturels volés ou illicitement exportés (du 24 juin 1995), in Revue suisse de droit international et européen, 7 (1997), p. 13 ss.
  • WINIGER Bénédict, Le transfert de propriété en droit français et suisse, in Le centenaire du Code civil suisse : colloque du 5 avril 2007. Paris : Société de législation comparée, 2008, pp. 169-186.
  • CAHN Jean-David, Les provenances cachées, in : Commission suisse pour l’UNESCO, (ed), La convention UNESCO de 1970 et sa mise en application, Zürich/St.Gallen : Dike, 2011, pp. 209-214.
  • RIONDET Etienne, SEDILLOT Hervé, Transmission du patrimoine, 16e ed, Dalloz, 2011.

 

b. Documents

  • ICOM, « Cent objets disparus. Pillage en Afrique », septembre 1994, références Mali p. 109.
  • Accord entre le gouvernement des Etats Unis d’Amérique et le gouvernement de la république du Mali portant sur la restriction à l’importation du matériel archéologique de la vallée du Niger et des falaises de Bandiagara.

 

c. Législation

  • Code civil français, articles 711, 931, 2276.
  • Décret malien de 1985 relatif à la réglementation de la prospection, de la commercialisation et de l’exportation des biens culturels (décret 299/PG RM).
  • Convention de l’UNESCO concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l’importation, l’exportation et le transfert de propriété illicites des biens culturels, adoptée le 17 novembre 1970, 823 UNTS 231.
  • Convention d’UNIDROIT sur les biens culturels volés ou illicitement exportés, adoptée le 24 juin 1995, 34 ILM 1322 (1995).

 

d. Médias

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[1] BRIET Sylvie, Afrique sos pillages, in Libération, 24 mars 2007.

[2] NOCE Vincent, Jacques Chirac et le bélier volé. Le cadeau d’anniversaire du président provient d’un pillage archéologique au Mali, in Libération, 14 décembre 1996.

[3] BAQUE Philippe, Enquête sur le pillage des objets d’art, in Le Monde diplomatique, janvier 2005.

[4] ADAM Guillaume, Coup de bélier à l’Elysée, in Le journal des arts, janvier 1997.

[5] ROBERT Arnaud, Out of Africa, in Le Temps, 21 mars 2009.

[6] BAQUE Philippe, Enquête sur le pillage des objets d’art, in Le Monde diplomatique, janvier 2005.

[7] ADAM Guillaume, Coup de bélier à l’Elysée, in Le journal des arts, janvier 1997.

[8] ROBERT Arnaud, Out of Africa, in Le Temps, 21 mars 2009.

[9] Décret 299/PG RM.

[10] RIONDET Etienne, SEDILLOT Hervé, Transmission du patrimoine, 16e ed., Dalloz, 2011, pp.116-125.

[11] Adoptée le 17 novembre 1970, 823 UNTS 231.

[12] ROBERT Arnaud, Out of Africa, in Le Temps, 21 mars 2009.

[13] La France ne l’a ratifiée qu’en 1997.

[14] CAHN Jean-David, Les provenances cachées, in : Commission suisse pour l’UNESCO, (ed), La convention UNESCO de 1970 et sa mise en application, pp. 209-211.

[15] Voir l’accord entre les États Unis et le Mali portant sur la restriction à l’importation du matériel archéologique de la vallée du Niger et des falaises de Bandiagara.

[16] KOCH Alicia, Le patrimoine culturel africain bientôt rapatrié ?, in AFRIK, 10 mai 2010.

[17] BAQUE Philippe, Enquête sur le pillage des objets d’art, in Le Monde diplomatique, janvier 2005.

[18] Adoptée le 24 juin 1995, 34 ILM 1322 (1995).

[19] LALIVE Pierre, La Convention UNIDROIT sur les biens culturels volés ou illicitement exportés, pp. 35-39.

[20] RENOLD Marc-André, Le droit de l’art et des biens culturels en Suisse: questions choisies, pp. 207-208.

[21] ROBERT Arnaud, Out of Africa, in Le Temps, 21 mars 2009.

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