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Entre attentes de la société et revendications d’autonomie de la discipline

Lucien CRIBLEZ (Université de Zurich, Suisse ; lcriblez@ife.uzh.ch)

Dans les pays germanophones, la pédagogie se mue en sciences de l’éducation au cours de la seconde moitié du XXe siècle. Partant d’une discipline des sciences humaines aux solides bases philosophiques et d’histoire des idées, elle se développe pour devenir un élément des sciences sociales entretenant un rapport évident avec, notamment, la psychologie ou la sociologie et s’orientant de plus en plus aux méthodes de recherche empirique. Cette « mutation » de la discipline intervient dans le cadre d’une croissance quantitative et conduit à une différenciation interne en sous-disciplines dont les « frontières » sont perméables aux autres disciplines des sciences sociales.

Sur la base de ces observations, j’expose trois grandes lignes d’évolution de la discipline : (1) La dissolution de la pédagogie issue des sciences humaines dans le contexte des transformations de la société des années 1960 et 1970 conduit à un conflit de paradigme duquel découle, durant les années 1980 et 1990, l’engagement pour un pluralisme de théories et de méthodes. (2) En parallèle, la pédagogie – suite aux transformations des attentes sociales et sociétales – se dégage de sa relation traditionnelle à l’enfant et à l’adolescent pour s’adresser, dans le sens d’une généralisation de l’éducation, à tous les âges (de l’enfant en bas âge à la personne âgée). (3) Les changements au sein des établissements et professions pédagogiques renforcent le processus de différenciation disciplinaire : les aspirations scientifiques dans les domaines pédagogiques nouveaux et/ou en développement comme la formation professionnelle et aux adultes ainsi que la pédagogie sociale, de même que la planification et l’administration de l’éducation qui se développe en parallèle à l’école, à la formation des enseignants et à la famille, dynamisent le développement des sciences de l’éducation et justifient leur croissance.

Dans les pays de langue allemande, à la fin (provisoire) de cette évolution, les sciences de l’éducation se présentent comme une discipline structurée en interne dont les frontières sont ouvertes et présentant des références multiples aux disciplines connexes, sensiblement légitimés par les attentes des domaines professionnels, de la politique et de l’administration. Ceci bien que les sciences de l’éducation se targuent en permanence de leur autonomie en arguant sur la liberté d’enseignement et de recherche. La dernière partie de cet exposé souligne davantage le conflit entre autonomie de la discipline et attentes socio-politiques, conflit se révélant véritablement fondateur de la discipline. À l’exemple de la récente tournure empirique vers une « recherche de formation empirique », on peut se demander à quel point les sciences de l’éducation sont à même de maintenir leur autonomie vis-à-vis des attentes des domaines pédagogiques basées sur les preuves.