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Gravures Dja Dja Wurrung – Musée de Melbourne c. Dja Dja Wurrung

Au printemps 2004, le Musée de Melbourne organise une exposition d’œuvres sur écorces aborigènes. Parmi les biens présentés figurent deux anciennes gravures sur écorces prêtées par le British Museum et les Kew Royal Botanic Gardens. La tribu australienne Dja Dja Wurrung bloque le retour de ces objets en Angleterre. Après des négociations et une médiation infructueuses avec les représentants Dja Dja Wurrung, le Musée de Melbourne intente une action judiciaire.

 

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Citation: Vanessa Vuille, Alessandro Chechi, Marc-André Renold, “Affaire Gravures Dja Dja Wurrung – Musée de Melbourne c. Dja Dja Wurrung,” Platforme ArThemis (http://unige.ch/art-adr), Centre du droit de l’art, Université de Genève.

Au printemps 2004, le Musée de Melbourne organise une exposition d’œuvres sur écorces aborigènes. Parmi les biens présentés figurent deux anciennes gravures sur écorces prêtées par le British Museum et les Kew Royal Botanic Gardens. Quelques jours avant la fin de l’exposition, la tribu australienne Dja Dja Wurrung bloque le retour des objets en Angleterre. Elle réclame la « propriété traditionnelle » des biens. Après des négociations et une médiation infructueuses avec les représentants Dja Dja Wurrung, le Musée de Melbourne intente une action judiciaire. En mai 2005, la Cour fédérale australienne donne raison au Musée, et les objets sont renvoyés en Angleterre.

 

I. Historique de l’affaire

Colonialisme – Demandes de restitution post 1970

  • Début des années 1850 : John Hunter Kerr, un anthropologue écossais installé en Australie, acquiert plusieurs objets aborigènes, dont deux écorces noircies à la fumée (« les Gravures ») sur lesquelles sont gravées une scène de chasse et une cérémonie traditionnelle tribale (« corroboree »). Ces Gravures ont été créées par des membres de la tribu Dja Dja Wurrung à la demande de Kerr[1].
  • En 1857 : plusieurs objets, dont les Gravures, sont données au British Museum et aux Kew Royal Botanic Gardens (Londres)[2].
  • 18 mars-27 juin 2004 : les institutions britanniques prêtent les Gravures au Musée de Melbourne dans le cadre de l’exposition « Etched on Bark 1854 »[3].
  • Le 18 juin 2004 : un inspecteur australien, Rodney Carter, bloque le retour des deux Gravures ainsi que d’un autre bien cérémonial (« les trois Objets ») par le biais d’une série de déclarations d’urgence[4].
  • Le 12 juillet 2004 : la tribu Dja Dja Wurrung demande au Ministre pour les Affaires Aborigènes de faire une déclaration de préservation sur les trois Objets et de les acquérir.
  • Automne 2004 : le Musée de Melbourne intente une action en justice contre la tribu Dja Dja Wurrung afin de permettre le retour de trois Objets en Angleterre. De son côté, la tribu saisit la justice afin d’obliger le Ministre pour les Affaires Aborigènes à se prononcer sur sa demande d’acquisition.
  • Les 20 et 23 mai 2005 : le Musée obtient gain de cause tandis que la tribu Dja Dja Wurrung est déboutée.

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II. Processus de résolution

Action en justice – Décision judiciaire – Médiation – Négociation

  • Le 18 juin 2004, l’inspecteur australien Rodney Carter (lui-même descendant Dja Dja Wurrung) fait une déclaration d’urgence à la demande de la tribu. Cette déclaration a pour effet de bloquer durant 30 jours tout retour des Gravures à Londres. Entre juillet et décembre 2004, sept déclarations d’urgence subséquentes sont déposées. Dans celle de juillet, Rodney Carter inclut un objet cérémonial représentant un émeu, également prêté par le British Museum, en sus des Gravures.
  • Immédiatement après la première déclaration de préservation, le Museums Board of Victoria (l’institution en charge du Musée de Melbourne)[5] entame des négociations avec les représentants de la tribu Dja Dja Wurrung.
  • Fin septembre 2004, après des mois de vaines négociations avec les autorités aborigènes, le Museums Board rend publique sa décision de saisir la justice. Deux mois plus tard, la justice australienne ordonne une tentative de médiation, laquelle se révèle infructueuse. Le Museums Board porte l’affaire jusque devant la Cour fédérale australienne.
  • Parallèlement aux déclarations d’urgence, la tribu Dja Dja Wurrung cherche un moyen de bloquer définitivement tout retour des trois Objets en Angleterre. Le 12 juillet 2004, elle demande au Ministre pour les Affaires Aborigènes, Gavin Jennings, de faire une déclaration de préservation (qui a pour effet de bloquer de façon permanente le retour des biens) et d’acquérir les trois Objets. La requête reste sans suite. Trois représentants de la tribu Dja Dja Wurrung saisissent alors la justice afin d’obliger le Ministre à se prononcer sur leur demande d’acquisition.

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III. Problèmes en droit

Propriété – Violation du contrat – Deaccession

  • La présente affaire porte sur la question de la propriété des trois Objets. Le British Museum et les Kew Royal Botanic Gardens réclament le retour des Objets, tandis que la tribu Dja Dja Wurrung (dont les ancêtres ont fabriqué les gravures) en revendique la « propriété traditionnelle » (« traditional ownership »). Entre ces parties se situe le Museums Board of Victoria, qui accueille les objets litigieux et s’est engagé contractuellement à les rendre aux institutions britanniques, sous peine de devoir payer au moins £ 900 000 (soit la valeur assurée) pour violation du contrat de prêt[6].
  • La Cour fédérale australienne n’a toutefois pas tranché la question de la propriété des Objets, mais s’est concentrée sur celle de la licéité des déclarations d’urgence déposées par l’instructeur Rodney Carter sur la base du « Aboriginal and Torres Strait Islander Heritage Protection Act » (ATSIHP Act) en force en 2005[7]. Dans sa décision du 20 mai 2005[8], qui tranche le litige opposant le Museums Board à l’inspecteur Rodney Carter, la Cour a conclu à l’illégalité des déclarations d’urgence et donc à l’absence de motif (sur cette base) de garder les trois Objets en Australie. Son raisonnement peut être résumé comme suit:
  1. L’inspecteur était-il compétent pour déposer plusieurs déclarations d’urgence successives ? Vu la systématique de la loi qui attribue des compétences plus larges au Ministre, l’inspecteur n’a le pouvoir de déposer qu’une déclaration d’urgence en lien avec une menace de dommage ou de profanation déterminée. Une telle déclaration – d’une durée de 30 à 44 jours (section 21C) – vise à permettre au Ministre de faire, s’il le juge nécessaire, une déclaration de préservation temporaire d’une durée de 60 à 120 jours (section 21D), voire même une déclaration de préservation sans limite de temps (section 21E) afin d’empêcher la sortie des biens aborigènes du territoire australien. De plus, même à supposer que la loi autorise le dépôt de plusieurs déclarations d’urgence, des déclarations successives ne peuvent viser à protéger les mêmes biens d’une même menace de dommage ou de profanation. Ainsi, l’inspecteur Carter n’était pas compétent pour déposer de déclaration d’urgence subséquente en lien avec la même menace[9].
  2. Y a-t-il alors eu un changement de circonstances (l’apparition d’une nouvelle menace de dommage ou de profanation pour les biens) qui justifiait le dépôt d’une déclaration d’urgence subséquente ? Selon la Cour australienne, depuis le 18 juin 2004 (date du dépôt de la première déclaration d’urgence) la menace est – et est restée – le transport des trois Objets au Royaume-Uni. En l’absence de nouveau danger, rien ne justifiait donc le dépôt d’une déclaration d’urgence en suite de celle du 18 juin 2004[10].
  3. Vu les réponses apportées ci-dessus, la Cour n’a pas jugé nécessaire de répondre aux questions suivantes, qu’elle a donc laissées ouvertes: L’inspecteur avait-il des raisons raisonnables de croire que les objets étaient menacés de dommage ou de profanation ? Les déclarations d’urgence visaient-elles un but légitime ? Les modalités de blocage fixées par les déclarations d’urgence litigieuses étaient-elles licites?[11] 
  • Toujours en relation avec les trois Objets, la Cour fédérale australienne a dû trancher un second différend opposant trois aînés de la tribu Dja Dja Wurrung au Ministre pour les Affaires Aborigènes ainsi qu’au Museums Board of Victoria. Le 12 juillet 2004 (soit bien avant que ne soit rendue la décision du 20 mai 2005), les Dja Dja Wurrung avaient sollicité un « Federal Court Order » (section 21L du ATSIHP Act) exigeant du Ministre pour les Affaires aborigènes qu’il fasse une déclaration permanente ou qu’il acquière les trois Objets afin qu’ils restent en Australie. Mais le Ministre Gavin Jennings avait refusé d’entrer en matière. Dans sa décision du 23 mai 2005[12] la Cour a reconnu la valeur culturelle particulière des Objets (« special cultural significance ») pour la tribu mais elle a débouté les requérants, estimant que la loi laissait au Ministre l’opportunité de décider s’il entrerait (ou non) en matière sur une sollicitation de « Federal Court Order »[13].
  • Dans tous les cas, la sortie des trois Objets de la collection du British Museum aurait été difficile : le British Museum Act de 1963 prohibe la « dé-accession » d’objets (c’est-à-dire leur sortie de la collection du musée), à moins qu’il ne s’agisse de copies, que les biens soient abîmés ou endommagés, ou qu’il n’ait pas lieu de les conserver dans la collection et ce, sans préjudice pour les étudiants (art. 5).

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IV. Résolution du litige

Rejet de la demande

  • La Cour fédérale australienne a admis la requête du Museums Board of Victoria et rejeté celle de la tribu Dja Dja Wurrung.
  • Conformément aux décisions des 20 et 23 mai 2005, les trois Objets ont été rendus au British Museum et aux Kew Royal Botanic Gardens.

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V. Commentaire

  • Tant la tribu Dja Dja Wurrung, le British Museum, le Kew Royal Botanic Gardens que la Cour fédérale australienne ont reconnu l’importance des Objets pour la tribu Dja Dja Wurrung, leur caractère artistique unique et leur valeur scientifique exceptionnelle. Cette affaire met ainsi en exergue le fait que le patrimoine culturel des communautés autochtones doit être respecté, avec pour corollaire la nécessité de prendre en considération les intérêts des communautés lorsque sont exposés des objets qui leur sont rattachés. À titre d’exemple, le Code de déontologie de l’ICOM recommande aux musées de « collaborer étroitement avec les communautés d’où sont issues leurs collections, ainsi qu’avec celles qu’ils servent » (principe 6) et de considérer positivement les demandes de retour ou de restitution de biens culturels (principe 6.2). Selon la doctrine, dans le milieu artistique australien, les tribus aborigènes sont toujours plus consultées en vue de l’exposition ou d’activités impliquant des biens aborigènes. Différents moyens permettent de mieux représenter les peuples aborigènes et de mieux faire entendre leur voix, notamment l’inclusion de curateurs issus de tribus aborigènes dans la préparation des expositions, et la création d’institutions représentant les intérêts aborigènes telles que l’ « Aboriginal Cultural Heritage Advisory Committee » (ACHAC) qui conseille le Musée de Melbourne. Par ailleurs, le gouvernement de l’Etat australien de Victoria a débloqué des fonds en vue de l’acquisition d’artefacts aborigènes détenus par des collectionneurs privés. Enfin, la présente affaire a permis à certaines tribus de redécouvrir les pratiques artistiques de leurs ancêtres, des artistes contemporains s’étant même « réapproprié » la gravure sur écorce[14].
  • La tribu Dja Dja Wurrung réclamait la propriété traditionnelle des trois Objets, créés par leurs ancêtres mais aujourd’hui propriétés d’institutions britanniques. Or, le contexte et les modalités de l’acquisition des biens par Kerr, il y a près de 170 ans, restent flous. Les Dja Dja Wurrung n’avaient-ils d’autre choix que d’abandonner leurs biens culturels au colon Kerr, ou s’agissait-il au contraire d’une décision librement consentie à l’égard d’un anthropologue bienveillant (ce que suggèrent des carnets et photographies attestant d’échanges réguliers et privilégiés entre Kerr et des membres de la tribu) ? Le principal représentant des Dja Dja Wurrung, Gary Murray, n’a pas hésité à utiliser une rhétorique très tranchée et historiquement connotée. Mais selon Willis, vu les rapports étroits entretenus par Kerr avec la tribu, la réalité était sans doute plus complexe qu’un simple rapport basé sur des concepts de « colonisation », d’ « infériorité » et d’ « échanges forcés », sans toutefois nier que de telles réalités ont existé lors de la colonisation de l’Australie par les Britanniques[15].
  • Mais comme le note le journal « The Conversation », la question principale n’est pas tant de savoir qui est le propriétaire des objets, que de déterminer qui est plus à même de les valoriser en les replaçant dans leur contexte historique et culturel[16]. Certains penchent pour la tribu d’origine des biens ou une institution qui la représente. En effet, ce sont des membres de la tribu qui ont fabriqué ces objets, ces derniers représentent des traditions propres à la tribu et font partie de son patrimoine tribal. Par conséquent, la tribu est plus légitimée et plus à même d’expliciter et de mettre en valeur de tels biens culturels. D’autres estiment que les musées dits universels, c’est-à-dire des musées qui, à l’image du British Museum, rassemblent en un lieu unique des objets issus de contrées variées, permettent une meilleure présentation des créations humaines, justement parce qu’ils réunissent une grande diversité de biens[17]. À titre d’exemple, le British Museum posséderait près de 6.000 objets aborigènes d’Australie[18].
  • Enfin, comme le relève Prott, la présente affaire illustre la tension qui peut exister entre d’une part les lois d’exportation (et les interdictions d’exporter qu’elles prévoient) et d’autre part la circulation des œuvres d’art pour les expositions internationales[19].
  • La demande de restitution des Dja Dja Wurrung et, surtout, le blocage du retour des objets en Grande-Bretagne ont provoqué de fortes réactions parmi les musées habitués à prêter des objets à l’étranger. Si les démarches des Dja Dja Wurrung avaient abouti, ils auraient encouru le risque qu’à l’avenir, nulle institution n’accepte de prêter de biens aborigènes en Australie de crainte de ne pouvoir les récupérer. Environ 40.000 biens aborigènes originaires d’Australie se trouveraient dans des collections hors du territoire australien[20]. Suite à la présente affaire, le Parlement australien a amendé en 2006 la section 12 du ATSIHP Act. L’objet 12(3A) nouvellement ajouté prévoit que les déclarations de préservation ne peuvent empêcher le retour d’un objet pour lequel un certificat de réexportation a été délivré conformément au Protection of Movable Cultural Heritage Protection Act de 1986. Mais il semble que malgré le déboutement des Dja Dja Wurrung et l’amendement du ATSIHP Act, les prêts d’objets aborigènes à l’Australie par des musées étrangers aient diminué suite à la présente affaire[21].

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VI. Sources

a. Doctrine

  • L.V. Prott, The Dja Dja Wurrung Bark Etchings Case, in : International Journal of Cultural Property (2006), vol. 13, pp. 241-246.
  • E. Willis, The Law, Politics and « Historical Wounds » : The Dja Dja Warrung Bark Etchings Case in Australia, in : The International Journal of Cultural Property 15(1), 2008, pp. 49-63.
  • P. Fung/S. Wills, There’s So Much In Looking At Those Barks : Dja Dja Wurrung Etchings 2004-05, in : C. Healy/A. Witcomb, South Pacific Museums : Experiments in Culture, Clayton (Monash University Press) 2006, pp. 11.1-11.16.

b. Décisions judiciaires

  • Museums Board Victoria v. Carter [2005] FCA 645, 20 mai 2005, (https://jade.io/article/110648) (consulté le 10.08.2017).
  • Carter v. Minister for Aboriginal Affairs [2005] FCA 667, 23 mai 2005, (https://jade.io/article/110651) (consulté le 10.08.2017).

c. Législation

  • British Museum Act de 1963.
  • Aboriginal and Torres Strait Islander Heritage Protection Act de 1984 (ATSIHP Act).
  • Protection of Movable Cultural Heritage Protection Act de 1986.

d. Médias

  • Hudson Paul, « Dja Dja Wurrung Barks Are Australian Art and the British Museum Should Return Them », in The Conversation, 17 février 2016 (http://theconversation.com/dja-dja-wurrung-barks-are-australian-art-the-british-museum-should-return-them-54640) (consulté le 10.08.2017).
  • Daley Paul, « Battle for Bark Art : Indigenous Leader Hail Breakthrough in Talks with British Museum », in The Guardian, 9 février 2016 (https://www.theguardian.com/australia-news/2016/feb/10/battle-for-bark-art-indigenous-leaders-hail-breakthrough-in-talks-with-british-museum) (consulté le 10.08.2017).
  • National Museum Australia, « Encounters. Revealing Stories of Aboriginal and Torres Strait Islander Objects from the British Museum » (http://www.nma.gov.au/exhibitions/encounters/mapping/fernyhurst) (consulté le 10.08.2017).

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[1] Prott, pp. 241-242.

[2] Avant d’être dispersée, la collection d’objets aborigènes de Kerr a été exposée à la Sandhurst Exhibition de Bendigo de 1854, puis à l’Exposition Universelle de Paris en 1855. Willis, p. 51; National Museum Australia.

[3] Fung/Wills, pp. 11.2-11.3.

[4] Ibid.

[5] Voir: https://museumsvictoria.com.au/about-us/board-and-executive-team/.

[6] Fung/Wills, p. 11.3.

[7] Version disponible sur : https://www.legislation.gov.au/Details/C2005C00228.

[8] Museums Board of Victoria v. Carter [2005] FCA 645.

[9] Ibid., para. 16-37.

[10] Ibid., para 38-40.

[11] Ibid., para 46-49.

[12] Carter v Minister for Aboriginal Affairs [2005] FCA 667.

[13] Ibid., para. 2.

[14] Willis, p. 61.

[15] Ibid., pp. 57-58.

[16] Hudson.

[17] Willis, p. 55.

[18] Daley.

[19] Prott, p. 241.

[20] Ibid., p. 244.

[21] Ibid.

 

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