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25 Objets d’art précolombien – Lempertz c. Etat de Rhénanie-du-Nord-Westphalie

La maison de vente aux enchères Lempertz met en vente des objets d’art précolombien. A la demande du Mexique, qui estime que 25 de ces biens appartiennent à son patrimoine culturel, l’Etat de Rhénanie-du-Nord Westphalie rend une ordonnance de saisie conservatoire en vue du retour de 25 biens au Mexique. Saisis par Lempertz, les tribunaux allemands jugent que faute d’effet rétroactif de la Convention UNESCO de 1970 et de sa loi allemande d’application, les conditions pour un retour ne sont pas réunies. Les objets sont transférés à leurs acquéreurs.

 

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Citation: Vanessa Vuille, Justine Ferland, Marc-André Renold, “Affaire 25 objets d’art précolombien – Lempertz c. Etat de Rhénanie-du-Nord-Westphalie” Platforme ArThemis (http://unige.ch/art-adr), Centre du droit de l’art, Université de Genève.

La maison de vente aux enchères Lempertz met en vente des objets d’art précolombien. A la demande du Mexique, qui estime que 25 de ces biens appartiennent à son patrimoine culturel, l’Etat de Rhénanie-du-Nord Westphalie rend une ordonnance de saisie conservatoire en vue du retour de 25 biens au Mexique. Saisis par Lempertz, les tribunaux allemands jugent que faute d’effet rétroactif de la Convention UNESCO de 1970 et de sa loi allemande d’application, les conditions pour un retour ne sont pas réunies. Les objets sont transférés à leurs acquéreurs.

 

I. Historique de l’affaire

Demande de restitution pre 1970

  • Juin 2011 : La maison de vente aux enchères Lempertz, à Cologne, publie un catalogue présentant des objets d’art précolombien qu’elle mettra en vente le 18 juin 2011.
  • Du 8 au 11 juin 2011, les pièces phares de la vente sont exposées à Bruxelles.
  • Par note verbale du 17 juin 2011, l’Ambassade du Mexique demande à l’Etat de Rhénanie-du-Nord-Westphalie de rendre une ordonnance de saisie conservatoire portant sur 25 objets présentés dans le catalogue de vente aux enchères, parmi lesquelles plusieurs statuettes et sculptures d’art précolombien qui appartiendraient au patrimoine culturel mexicain (ci-après : les Objets). L’Etat rend l’ordonnance de saisie.
  • Le 18 juin 2011, les Objets sont vendus aux enchères à Cologne pour un total de 30 000 euros, mais sous condition : le transfert de propriété et de possession n’a pas lieu.
  • Le 20 juin 2011, Lempertz introduit une action en justice, contestant la licéité de l’ordonnance du 17 juin 2011.
  • Le 12 août 2011, l’Etat du Mexique demande officiellement le retour des Objets.
  • Le 25 avril 2012, le Tribunal administratif de Cologne admet la requête de Lempertz et déclare l’ordonnance illicite. L’Etat de Rhénanie-du-Nord-Westphalie fait recours.
  • Le 8 juillet 2013, le Tribunal administratif supérieur de Rhénanie-du-Nord-Westphalie rejette le recours et confirme l’illicéité de l’ordonnance de saisie conservatoire. Les Objets sont transférés à leurs acquéreurs respectifs.

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II. Processus de résolution

Action en justice - Décision judiciaire

  • Inspiré par le Guatemala et la Bolivie, le Mexique fait valoir par note verbale que 25 des Objets mis en vente faisaient partie de son patrimoine culturel national et utilise un moyen légal, l’ordonnance de saisie conservatoire, pour empêcher le transfert de possession des Objets.
  • Lempertz réplique immédiatement en introduisant une action en justice dans laquelle elle allègue l’illicéité de l’ordonnance. L’action aboutit devant les tribunaux de première et seconde instances, qui donnent raison à Lempertz, et les Objets sont rendus à leurs acquéreurs.

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III. Problèmes en droit

Exportation illicite - Fouille illicite

  • Le principal problème, dans la présente affaire, a trait à l’exportation illicite de biens culturels.
    • La République fédérale d’Allemagne a ratifié la Convention concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l’importation, l’exportation et le transfert de propriété illicites des biens culturels (Convention UNESCO de 1970) le 30 novembre 2007. La Kulturgüterrückgabegesetz (KultGüRückG), qui met en œuvre la Directive 93/7/CEE, a été élargie afin de permettre également l’application de la Convention UNESCO de 1970.
    • La section 3 de la KultGüRückG a trait aux demandes de restitution émanant d’Etats étrangers. Afin de permettre la restitution des biens culturels, le § 8 prévoit que lorsqu’il existe une forte suspicion que ledit bien ait été illicitement exporté d’un Etat partie à la Convention UNESCO de 1970 vers le territoire allemand, les autorités compétentes rendent une ordonnance de saisie conservatoire afin de permettre le retour du bien à son pays d’origine.
    • Les conditions du retour d’un bien culturel à son pays d’origine sont fixées au § 6 al. 2 KultGüRückG. Cette disposition prévoit qu’un objet exporté illicitement du territoire d’un Etat partie vers l’Allemagne après le 26 avril 2007 doit être restitué à l’Etat partie qui le demande si les conditions suivantes sont remplies :
      • L’objet a été désigné comme bien culturel présentant une valeur artistique, historique ou archéologique particulière pour l’Etat d’origine dans un inventaire ;
      • la désignation a été effectuée avant l’importation du bien en Allemagne ou, pour les biens archéologiques dont l’Etat ne pouvait avoir connaissance, dans l’année à compter du moment où l’Etat a eu connaissance de leur existence ;
      • un autre Etat partie peut identifier le bien culturel comme tel et peut accéder à l’inventaire sans effort excessif depuis son propre territoire ; et
      • le bien fait partie d’une des catégories énumérées à l’art. 1 de la Convention UNESCO de 1970.
    • A noter que s’il n’est pas possible d’établir la date de l’entrée du bien en Allemagne, le bien est réputé avoir été importé après le 26 avril 2007 (§ 6(b)(2) in fine KultGüRückG). Mais cette présomption ne vaut que si les biens ont été désignés d’importance significative avant le 26 avril 2007, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. De plus, Lempertz dispose de documents attestant de l’importation des Objets avant cette date. Les autorités allemandes ne peuvent donc se prévaloir de cette présomption et le fardeau de la preuve du moment de l’importation en Allemagne après le 26 avril 2007 pèse toujours sur elles[1].
    • L’Etat argue que l’importation illicite en Allemagne après le 26 avril 2007 suffit à la demande en retour des Objets et qu’une telle interprétation est conforme à l’art. 7(b)(ii) de la Convention UNESCO de 1970. Cette disposition prévoit que « les Etats parties à la présente Convention s’engagent […] à prendre des mesures appropriées pour saisir et restituer […] tout bien culturel ainsi volé et importé après l’entrée en vigueur de la présente Convention à l’égard des deux Etats concernés […] »[2] (nous mettons en évidence).
    • Le Tribunal administratif supérieur a jugé que d’après une interprétation littérale, systématique et historique de la loi, tant l’exportation du bien de l’Etat d’origine que l’importation en Allemagne doivent avoir eu lieu après le 26 avril 2007[3]. Or, en l’espèce, rien n’indique que les Objets ont été exportés du Mexique après le 26 avril 2007[4]. Au contraire, les preuves amenées par Lempertz démontrent que les Objets faisaient partie de collections privées allemandes, parfois même depuis plusieurs décennies[5]. Faute d’indice indiquant que les Objets devront être retournés au Mexique, les conditions du § 8 al. 2 ne sont pas remplies et l’ordonnance de saisie est illicite.
    • Le Tribunal rappelle donc que la Convention UNESCO de 1970 et sa loi allemande de mise en œuvre ne sont pas rétroactives, et qu’elles ne permettent pas la restitution de biens qui auraient été illicitement exportés du Mexique vers l’Allemagne avant le 26 avril 2007.
  • Le second problème juridique porte sur les fouilles illicites. L’Etat de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, appuyé par le Mexique, prétendait que plusieurs des Objets étaient des biens archéologiques issus de fouilles illicites, soit des biens dont l’Etat mexicain ignorait l’existence avant la publication du catalogue de vente aux enchères en juin 2011. Par conséquent, le Mexique alléguait bénéficier, conformément à la loi allemande, d’un délai supplémentaire d’un an pour inscrire les Objets à son inventaire[6]. Or, le Tribunal a estimé que les Objets ne figuraient pas à l’inventaire du Mexique avant leur importation en Allemagne et qu’ils n’y ont pas été inscrits dans le délai d’un an à compter du moment où les autorités mexicaines ont eu (ou auraient dû avoir) connaissance de l’existence des Objets. Les Objets faisant partie de collections privées hors du Mexique depuis plusieurs années, parfois plusieurs décennies, et certains d’entre eux ayant même été vendus lors de vente aux enchères antérieures, le Tribunal a considéré qu’il incombait à l’Etat demandeur de prouver que les biens provenaient de fouilles archéologiques illicites et récentes[7]. Par ailleurs, en dépit des critiques formulées à l’encontre de la loi allemande par le Ministère allemand de la culture lui-même, il n’y a pas de place pour un éventuel comblement de lacune de la part du Tribunal[8]. Faute de preuve allant dans ce sens, le Tribunal conclut que le délai pour inscrire les Objets à l’inventaire mexicain n’a pas été respecté et, partant, que les conditions à la restitution et à la saisie conservatoire ne sont pas remplies.

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IV. Résolution du litige

Rejet de la demande

  • Le 25 avril 2012, le Tribunal administratif de Cologne admet la requête de Lempertz et déclare l’ordonnance de saisie illicite. Cette décision est confirmée le 8 juillet 2013 par le Tribunal administratif supérieur de l’Etat de Rhénanie-du-Nord-Westphalie.
  • La propriété et la possession des Objets sont transférées aux acheteurs de la vente aux enchères du 18 juin 2011.

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V. Commentaire

  • Dans un rapport du 24 avril 2013[9], le gouvernement fédéral allemand a fait le bilan des six premières années d’application de la Kulturgüterrückgabegesetz. Il en ressort que malgré plusieurs requêtes d’Etats étrangers, la loi n’a jamais permis le moindre retour de biens culturels. Des conditions au retour sont nécessaires en vertu du principe de la sécurité juridique des transactions. Mais le rapport concède que les conditions posées en l’espèce sont trop strictes pour pouvoir être remplies par les Etats requérants, notamment l’exigence de l’inscription du bien à un inventaire accessible depuis l’Allemagne[10]. Le rapport note également que l’inefficacité de la loi met en danger les relations internationales de l’Allemagne : ses propositions en matière de lutte contre le crime organisé seraient régulièrement refusées par les autres Etats au motif que l’Allemagne elle-même ne satisfait pas à son obligation de lutte contre le trafic des biens culturels[11].
  • Ces deux motifs notamment ont poussé l’Allemagne à réviser sa loi de mise en œuvre de la Convention UNESCO 1970. La Kulturgutschutzgesetz (KGSG), entrée en vigueur le 6 août 2016, a quelque peu assoupli les conditions de retour des biens culturels[12].
  • Cette affaire illustre aussi la tension qui existe entre les acteurs du marché de l’art, pour lesquels la circulation des biens est indispensable, et les Etats dits « sources », qui souhaitent empêcher la dissémination de leur patrimoine culturel. Les Etats d’Amérique latine, en particulier, recourent presque systématiquement aux actions en justice. Faisant référence aux nombreuses actions intentées à l’occasion de ventes aux enchères en France, un journaliste du marché de l’art notait qu’« entre 2003 et 2008, des pays d’Amérique latine n’ont eu de cesse d’entraver le marché de l’art précolombien par des actions judiciaires à répétition, assorties de saisies conservatoires »[13]. Si l’attitude et les arguments juridiques avancés par les Etats d’Amérique latine n’ont pas convaincu les tribunaux français ou allemands, leur démarche est compréhensible : le pillage des sites archéologiques est toujours d’actualité et la vente d’objets d’art précolombien risquerait de stimuler les huaqueros, les pilleurs de tombe, ainsi que la création et la mise sur le marché de faux[14]. Le Mexique avait d’ailleurs mentionné l’existence, parmi les objets figurant dans le catalogue de vente aux enchères de Lempertz, de plusieurs faux.

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VI. Sources

a. Doctrine

  • André Delpuech, « Un marché de l’art précolombien en plein questionnement », in Nouvelles de l’archéologie, 2016, no 144, pp. 43-50, https://journals.openedition.org/nda/3487 (25.04.2018).

b. Décisions judiciaires

  • Verwaltungsgericht Köln, Urteil, 15.04.2012, Az. 10 K 3537/11, disponible à: https://openjur.de/u/454711.html (21.03.2018).
  • Oberverwaltungsgericht Nordrhein-Westfalen, Urteil, 08.07.2013, Az. 5 A 1370/12, disponible à: https://openjur.de/u/638398.html (07.03.2018).

c. Législation

  • Gesetz zum Schutz von Kulturgut, 31 juillet 2016, sur: http://www.gesetze-im-internet.de/kgsg/ (25.04.2018).
  • Kulturgüterrückgabegesetz, 18 mai 2007, sur : https://ra.de/gesetze/KultGueRueckG (25.04.2018).

d. Documents

  • Registre des biens culturels, monuments, Instituto Nacional de Antropología e Historia, http://www.registropublico.inah.gob.mx/index.php/autenticacion/autenticacion (25.04.2018).
  • Bericht der Bundesregierung zum Kulturgutschutz in Deutschland, 24 avril 2013, https://www.bundesregierung.de/ContentArchiv/DE/Archiv17/Artikel/2013/04/2013-04-24-kulturgutschutz.html (25.04.2018).
  • Report of the Federal Governement on the protection of cultural property in Germany (summary), 24 avril 2013, https://www.bundesregierung.de/ContentArchiv/DE/Archiv17/Artikel/2013/04/2013-04-24-kulturgutschutz.html (23.04.2018).

e. Media

  • Armelle Malvoisin, « Les enchères reprennent leur cours », in Le Journal des Arts, no 325, mai 2010, p. 27.

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[1] Az. 5 A 1370/12, para. 80.

[2] Para. 18.

[3] Para. 48 ss.

[4] Para. 77.

[5] Para. 79.

[6] Disponible sur : http://www.registropublico.inah.gob.mx/index.php/autenticacion/autenticacion.

[7] Az. 5 A 1370/12, para. 90.

[8] Para. 91.

[9] Bundesregierung, Bericht zum Kulturgutschutz in Deutschland; Federal Government, Report on the protection of cultural property in Germany (summary).

[10] En l’espèce, plus de 35 000 objets étaient inscrits à l’inventaire mexicain en avril 2013, mais les Objets en cause ne l’ont pas été avant le 26 avril 2007. Bundesregierung, Bericht zum Kulturgutschutz in Deutschland, p. 72 ; Federal Government, Report on the protection of cultural property in Germany (summary), p. 5.

[11] Federal Government, Report on the protection of cultural property in Germany (summary), p. 6.

[12] Voir notamment le § 52(1) KGSG, qui reprend mais adapte les conditions du § 6(2) KultGüRückG. En particulier, l’exigence que le registre des objets d’importance significative doit être accessible depuis l’Allemagne a été abandonnée.

[13] Malvoisin.

[14] Gardin.

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